Lancée en Franche-Comté en 2002 dans le cadre de l'expérimentation internationale TEMPiS, cette nouvelle organisation de soins distanciels délivrés aux patients atteints d'accident vasculaire cérébral ischémique (AVC) est une application éprouvée de la télémédecine. Une revue sur l'état des lieux en France du télé AVC a été publiée en octobre 2020 dans le Bulletin de l'Académie de Médecine.
INTRODUCTION
Avec le XXI siècle, la santé est entrée dans une ère d’innovations majeures. Les biotechnologies, le numérique en santé, dont la télémédecine (TLM), sont à l’origine de la transformation du système de santé pour en décupler l’efficience. La TLM permet un accès équitable aux soins «de partout et à tout moment», de l’urgence vitale au suivi de pathologies chroniques. Si la TLM n’est qu’un outil pour améliorer l’accès aux compétences, elle donne du sens à la réorganisation des parcours de soins en transformant la relation entre professionnels de santé et usagers. Elle réduit aussi par substitution, les inégalités liées aux manques, comme condense l’espace-temps, et surtout, elle favorise le partage des connaissances, des compétences et des bonnes pratiques entre professionnels de santé.
Les expériences en TLM dans le domaine de la neurologie ne sont pas récenteset ont connu un réel essor ces dernières années. La prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC) s’est aussi radicalement transformé grâce au développement des unités neurovasculaires (UNV) et de thérapeutiques efficaces comme la thrombolyse délivrée dans les premières heures.
Toutefois, la faible démographie médicale, notamment en neurologues, a limité le nombre des UNV. C’est dans ce contexte sociodémographique et parce que l’AVC est apparu comme un bon modèle que la TLM de l’AVC s’est développée. Les aspects de TLM concernant les AVC sont dénommés «téléAVC», et font partie intégrante de l’organisation de la filière de prise en charge depuis avec la mise en place du Plan national «AVC 2010–2014» qui l’inclut au sein des UNV.
Le Plan TLM de 2011–2015, s’appuyant sur les 5 priorités nationales de déploiement de la TLM (imagerie, prise en charge de l’AVC, maladies chroniques, santé des détenus et soins dans les structures médicosociales), a permis aux établissements hospitaliers de s’organiser pour répondre au défi de l’ère thérapeutique pour les AVC.
Ces traitements curatifs imposent des contraintes de temps serré (une fenêtre thérapeutique courte) et des compétences spécifiques (un spectre d’efficacité étroit) nécessitant ainsi une expertise neurovasculaire. Le parcours AVC s’est ainsi structuré avec un modèle de maillage territorial performant grâce à la TLM, en répondant à la complexité de la prise en charge, pour qu’un maximum de patients puisse accéder à l’expertise neurovasculaire.
L’AVC : UN PROBLEME DE SANTE PUBLIQUE ET UN MODELE D'UNE MALADIE CHRONIQUE A REVELATION AIGUE
Plusieurs critères font de l’AVC une maladie particulière, conjuguant soins en urgence et prise en charge chronique. Les AVC sont de plus en plus fréquents avec 150 000 nouveaux cas chaque année en France et leur nombre continue d’augmenter (+13% entre 2008 et 2015) et, ce malgré une prévention de plus en plus efficace. Le vieillissement de la population dû à l'allongement de l'espérance de vie, comme l’augmentation d’incidence des AVC chez les jeunes de moins de 55 ans, en sont les principales causes. L'AVC reste une maladie grave avec 10% de décès à 1 mois, 40% des survivants restant handicapés à 1 mois et 20% évoluant vers une démence vasculaire.
Ces constats expliquent que l’AVC ait été reconnu comme une nouvelle priorité de santé publique. Les contraintes inhérentes à la coordination de multiples intervenants et à la technicité sophistiquée nécessaire pour une prise en charge adaptée, servent même de modèle à l’application de la TLM dans la gestion des urgences médicales en général.
LA TELEMEDECINE DANS LE PARCOURS DE SOIN SPECIFIQUE D'UN AVC
La prise en charge de l’AVC est passée d’une ère nihiliste à une prise en charge très active avec des étapes clés.
Depuis 2010, le développement dans chaque région d’unités neurovasculaires (UNV) qui comporte des soins intensifs dédiés (USINV), devrait permet l’admission et la prise en charge de tous les patients atteints d’un AVC.
Le parcours de soin spécifique est simplifié avec un appel au Centre 15 qui mobilise les secours adaptés, puis une admission en urgence dans un hôpital équipé des plateaux techniques nécessaires au diagnostic et à la détermination du type d’AVC par la réalisation d’une imagerie en urgence (IRM en première intention ou à défaut un scanner cérébral). L’expertise neurovasculaire et l’admission en USINV sont nécessaires pour la réalisation des thérapeutiques et la surveillance avant la sortie au domicile ou en rééducation.
La reperfusion par thrombolyse est validée depuis 2005.
C'est l’injection intraveineuse d’un fibrinolytique, l’activateur tissulaire du plasminogène (t-PA), qui permet la reperfusion. Ce traitement doit être effectué dans les premières heures de l’ischémie cérébrale avant 4h30 pour les sujets de moins de 80 ans et dans les 3h pour les patients de plus de 80 ans, et sous la responsabilité d’un neurologue. Ainsi, 1 décès ou 1 handicap majeur sont évités tous les 4 patients traités.
La reperfusion par thrombectomie depuis 2015.
Les occlusions des gros troncs artériels intracrâniens sont accessibles, dans les 6 à 9h, à un geste de reperfusion par thrombectomie mécanique depuis 2015. Cet acte de haute technicité est réalisé en neuroradiologie interventionnelle (NRI) dans les UNV de recours.
L'hémi craniectomie de décompression est validée pour les infarctus cérébraux malins dans les premières 24 heures. Enfin, le contrôle de la pression artérielle dès les premières heures en cas d’AVC hémorragique et réversion des anticoagulants par des agents spécifiques permettent le plus souvent de limiter l’extension de l’hémorragie et ses conséquences. Plus généralement, toutes les avancées thérapeutiques et de prise en charge trouvent aisément leur place dans l’UNV, cœur du parcours AVC, comme préconisée par la Haute Autorité de santé.
Place de la télémédecine dans le parcours AVC. (Tableau 1)
ETAT DES LIEUX DU DEPLOIEMENT DU TELE AVC EN FRANCE
Le téléAVC correspond à l’application de la télémédecine, telle qu’elle est définie par le décret de 2010, à la prise en charge des patients présentant un AVC. Elle peut aller de la téléconsultation jusqu’à la téléassistance.
Le «téléAVC» décline tous les aspects nécessaires au diagnostic clinique, d’imagerie, aux décisions thérapeutiques, en urgence, lors du suivi des patients et dans le cadre de réunions de concertation pluridisciplinaire dédiée aux AVC (RCP-AVC). Il nécessite la mise en commun de toutes les compétences nécessaires dans le champ des pathologies neurovasculaires, notamment neurologiques et radiologiques.
Il s’intègre généralement dans une organisation globale, notamment avec un réseau de télémédecine régional lorsque celui-ci existe. Ainsi, chaque région définit au moins une structure de recours régionale qui intègre à la fois une UNV, des compétences de neuroradiologie interventionnelle et de neurochirurgie afin d’assurer dans le cadre de protocoles régionaux des actes diagnostiques, thérapeutiques plus ou moins complexes. D’autres spécialités peuvent être nécessaire telle la chirurgie vasculaire, la médecine physique et de réadaptation, et éventuellement la pédiatrie. Les intervenants de recours sont des spécialistes compétents en neurovasculaire. Cette organisation est généralement adossée là un réseau de téléradiologie permettant de disposer de l’avis et de l’interprétation d’un neuroradiologue formé à la lecture de l’imagerie de l’AVC.
Le déploiement du téléAVC en France en 2016.(tableau 2)
UNE PRATIQUE COMBINEE DE LA TELEMEDECINE DANS L'ORGANISATION DU TELE AVC
Téléconsultation du «téléAVC»
Il s’agit d’une téléconsultation de neurologie qui inclut la transmission et le partage des données utiles (données biologiques, d’imagerie, du dossier informatique…) à la prise en charge d’un patient suspect d’AVC.
Les outils de la Visio-présence sont obligatoires pour permettre l’échange direct avec le patient (anamnèse et examen clinique standardisé). Le patient est situé dans l’établissement de proximité, généralement le service d’accueil des urgences (SAU) où il est assisté par un médecin ou un professionnel de santé.
L’examen clinique du patient est effectué conjointement entre le médecin en charge le patient dans l’établissement de proximité («médecin requérant») et le médecin neurologue de l’établissement de recours («médecin requis») L’accord du patient est obtenu et recueilli, bien que dans le cadre de l’urgence le consentement préalable ne soit pas obligatoire (le médecin agissant en urgence dans l’intérêt du patient). L’ensemble est formalisé entre les intervenants dans les différents dossiers médicaux informatisés du patient.
Cette téléconsultation peut être réalisée en urgence, pour valider les scores neurologiques avant toute décision thérapeutique ou lors du suivi, pour fiabiliser le diagnostic et choisir les options de prise en charge au cours de l’hospitalisation initiale ou pour les consultations ultérieures.
Téléexpertise du «téléAVC»
Le «médecin requérant» présente au «médecin requis» les éléments du dossier du patient (au mieux l’ensemble des données en sa possession)
L’ensemble des avis de recours sont donnés par des spécialistes compétents en neurovasculaire et en dehors de la participation effective du patient, qui doit toutefois être informé de cette procédure. Par exemple, il peut s’agir d’avis donnés par un neuroradiologue à un médecin radiologue ou non (médecin urgentiste, neurologue…) comme d’un neurologue vasculaire à un autre médecin dans un SAU d’un site distant. Les échanges sont formalisés et alimentent les dossiers respectifs.
Cette organisation est généralement adossée à un réseau de téléradiologie permettant de disposer de l’avis et de l’interprétation d’un neuroradiologue formé à la lecture de l’imagerie de l’AVC. Cette situation se retrouve à l’échelon d’un territoire de santé dans lequel existe un centre hospitalier pivot ou de recours au sein duquel est assurée une continuité de la permanence radiologique.
Téléassistance médicale et télésurveillance du téléAVC.
Le «médecin requérant» qui a la charge du patient, est assisté dans la réalisation de certains actes par un «médecin requis». Il peut s’agir pour le neurologue de contrôler la bonne réalisation de la thrombolyse, pour le radiologue d’assister la réalisation de l’examen d’imagerie. Une assistance est aussi possible entre professionnels de santé médicaux et non médicaux.
Pour la télésurveillance, il peut s’agir d’enregistrer à distance des paramètres permettant de contrôler l’état clinique du patient (pression artérielle, saturation en oxygène, température, score clinique, ECG…)
Des protocoles de coordination entre acteurs locaux et de recours lors des différents actes du téléAVC sont mis en place. L’avis neurovasculaire peut être sollicité pour guider la conduite à tenir la plus adaptée à la situation clinique spécifique en urgence ou lors du suivi.
Le neurologue vasculaire peut effectuer une réévaluation des données médicales, dont la lecture des images, et affiner et/ou confirmer le diagnostic et le cas échéant, adapter la conduite à tenir ultérieure. Il certifier la conduite à tenir dans le cadre de RCP-AVC ou lors du suivi du patient. Il guide la conduite radiologique la plus adaptée à la situation clinique avec une aide dans l’établissement des protocoles d’examen et dans le choix des techniques d’imagerie les plus adaptées en fonction de l’indication (guide du bon usage des examens d’imagerie, recommandations professionnelles, …), conduisant à modifier les pratiques médicales en favorisant et promouvant l’amélioration de la prise en charge des AVC (tant à la phase aiguë que lors du suivi).
DIFFERENTS MODELES ORGANISATIONNELS SUR LE TERRITOIRE FRANCAIS (tableau 3)
C’est la richesse du téléAVC d’avoir conduit les professionnels de santé à imaginer des modèles d’organisation territoriale selon le lieu d’implantation des UNV, la ressource médicale en neurologue, la collaboration avec les centres de recours. Ces parcours de soins coordonnés par les neurologues vasculaires d’un territoire associent des soins distanciels et des soins présentiels.
CONCLUSIONS
Au 21èmesiècle, le numérique en santé permet de construire des parcours de soins impliquant des soins distanciels et des soins présentiels. Les soins distanciels associent de manière combinée les différentes pratiques de la télésanté, selon la compétence des professionnels de santé impliqués dans ces parcours. Cette médecine hybride est pluriprofessionnelle. C’est aux patients eux-mêmes qui vivent ces nouvelles expériences d’en évaluer la qualité et la sécurité. La neurologie avec le téléAVC, comme d’autres spécialités médicales, illustre cette évolution des organisations de soins qui associent le distanciel et le présentiel.
1. Professeur de neurologie vasculaire au CHU de Besançon, Directeur de l’UFR médicale. 2. Néphrologue, ancien président-fondateur de la Société Française de Télémédecine. 3. Heinrich J Audebert1, Johannes Schenkel, Peter U Heuschmann, Ulrich Bogdahn, Roman L Haberl; Telemedic Pilot Project for Integrative Stroke Care Group. Effects of the implementation of a telemedical stroke network: the Telemedic Pilot Project for Integrative Stroke Care (TEMPiS) in Bavaria, Germany. Lancet Neurol. 2006 Sep;5(9):742-8. doi: 10.1016/S1474-4422(06)70527-0, 4.Medeiros De Bustos, R.Ohannessian, B. Bouamra,T. MoulinTélémédecine et accident vasculaire cérébral : « Rôle de la télémédecine dans les accidents vasculaires cérébraux » Telemedicine and stroke: Telestroke. The role of telemedicine in stroke Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine, Volume 204, Issue 8, October 2020, Pages 826-838.
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