
Le système de santé comme nous le connaissons aujourd’hui coûte cher (+ de 11% du PIB) alors même qu’il n’est pas encore adapté aux évolutions sociétales des prochaines années. Des réformes de nos politiques publiques sont en cours, d’autres sont à venir pour le rendre plus efficace, plus rapide, plus proactif.
Le développement de l’économie du numérique, de la Silver Economie bouleverse les équilibres économiques. De nombreuses start-ups dans le digital santé (Big Data, IA, IoT, 3D…), les GAFA américains et surtout les chinois BAIDU et Wechat se développent en investissant des champs nouveaux, suggérant de toutes parts un modèle en rupture au service d’une médecine personnalisée, prédictive, digitale et favorisant de nouveaux entrants comme les Walk-In Clinic. C’est bien une révolution qui nous conduit naturellement de la médecine à la e-santé et qui augure de nouveaux métiers.
Dans ce contexte d’évolutions rapides qui modifient le rapport au temps, les SI de nos GHT(Groupements Hospitaliers de Territoire) ne sont que des prétextes aux changements. Notre défi est de les utiliser comme l’un des moteurs au décloisonnement, à la transformation des organisations, à l’évolution des mentalités car nos établissements seront profondément impactés par ces modifications qui placent de plus en plus le patient acteur ou ‘actient’ au centre du dispositif. Ils seront de formidables indicateurs de mesure de notre agilité et de notre capacité à nous transformer vers une gouvernance fédérative, animée par la confiance, au bénéfice d’un citoyen connecté. C’est bien cela l’enjeu de la disruption, un enjeu prioritairement humain avec l’émergence de nouveaux profils porteurs de cette transformation. Ces nouveaux défis ne sont pas neutres pour les éditeurs et leurs briques historiques comme le dossier patient ou le PACS qui par leurs formes monolithiques, orientées uniquement fonctions, pauvres en valeur ajoutée, seront reléguées au second rang du SIT pour laisser la place à des solutions plus novatrices. Celles-ci se distingueront par une représentation graphique de l’information associée à des composants modulaires ouverts interopérables, par une modélisation des processus métiers en parcours ou chemins cliniques et par une gestion de la connaissance s’appuyant sur des entrepôts répartis (VNA et XDS) au profit d’une aide aux diagnostics. La norme d’interopérabilité FIHR, orientée Web et plus facile à mettre en oeuvre, augure tout à la fois des impacts profonds sur les solutions existantes mais également des opportunités autour de la mobilité et des objets connectés.
Cette étape de déconstruction interne des logiciels existants est très lourde financièrement pour les éditeurs alors même que cela ouvre des perspectives intéressantes à de nouveaux entrants. Le positionnement l’éditeurs de logiciels évolue prioritairement vers un rôle d’intégrateur plus facilement ouvert aux autres acteurs via des partenariats stratégiques. De même, les entrepôts territoriaux répartis, communicant entre eux, modifient profondément et profitablement le modèle initial, uniquement centralisé, imaginé autour du DMP (Dossier Médical Partagé) il y a plus de 10 ans. Cette complémentarité sera une source de souplesse et de richesse aidant au développement du DMP. Il est intéressant de noter l’accélération sur les prises de participation, les nombreuses acquisitions faites par des fonds d’investissement comme SISA ou iBionext, par des grands groupes du secteur de la banque-assurance ou de l’IT santé à l’image de la MNH ou d’Orange Healthcare. Elles traduisent une concentration du marché, signe de sa maturité et de son fort développement à venir, évalué à plusieurs milliards d’euros. La prévalence de la donnée partagée, son auto-analyse par les technologies Big data, d’Intelligence Artificielle (IA) doivent encourager à une meilleure gestion, faciliter la prise en charge du patient et de l’usager pour les intervenants de son parcours. A moyen terme, les SI de nos établissements de santé seront principalement alimentés et interconnectés par des sources externes managées prioritairement par les patients, les réseaux de soins et les fabricants d’objets connectés.
Toutes ces évolutions, mutations numériques se manifesteront par une explosion multi sources du volume de données collectées qui doivent interroger les établissements sur leur volonté ou capacité à les stocker dans le temps. Si le stockage de la donnée représente un coût, il est certain que celle-ci est porteuse d’une grande valeur. Il faudra savoir en modéliser la connaissance pour offrir de nouveaux services et modifier profondément nos pratiques. A titre d’exemple, la connaissance acquise du patient / client par ces nouvelles solutions offrira la possibilité de modifier le sens de la relation que nous connaissons actuellement en permettant à l’hôpital d’interpeler le patient dans une logique de médecine préventive. De nombreuses études démontrent aujourd’hui une plus grande maturité des clients(patients, usagers, …) que des professionnels vis-à-vis du numérique et du partage de l’information, ce qui doit encourager les directions à une prise de conscience rapide pour profiter de ces nouvelles opportunités.
La possibilité de connaissance des attentes, des préférences du patient/client et de maîtrise des données de son parcours de vie, de santé, de soins incite à initier une démarche marketing. Le développement d’une stratégie de différenciation digitale en réponse à une pression concurrentielle de plus en plus forte entre les acteurs historiques et de nouveaux entrants devient indispensable. Au final, il s’agit bien d’une course à la personnalisation et d’une anticipation des besoins au service du déploiement des usages pour contrôler toutes les étapes de la chaine de valeur. Demain l’expérience acquise sera soumise à des « influenceurs » imposant de faire mieux connaitre l’offre et d’être agile pour s’adapter régulièrement aux attentes des patients / clients. La sécurité des données est le corollaire à la croissance du numérique alors même que les citoyens ne sont pas suffisamment conscients de l’exploitation des données et de l’usage qui en est fait à leurs dépens.
En cela le nouveau Règlement Général pour la Protection de la Donnée (RGPD), qui entre en vigueur en France le 25 mai prochain,) apporte des réponses. Espérons toutefois que les lois ne deviennent pas rapidement un frein qui annihilerait toutes volontés d’évolution par un cadre juridique trop strict même si ces sujets sensibles restent à surveiller avec une grande attention. C’est un équilibre difficile à trouver entre évolutions technologiques très rapides et procès social à gagner, entre les divergences de la valeur du capital et du travail.
Comment la société doit-elle réagir pour avoir le temps d’accepter les changements ? Pour trouver une place naturelle aux Blockchains dans la sécurisation des échanges partagés ? Comment doit-elle se préparer pour accorder une place inéluctable à la robotique et au transhumanisme ? Par ces interrogations, on redécouvre paradoxalement aujourd’hui l’importance des trois lois de la robotique créées par Isaac Asimov en 1942, certains chercheurs arguant déjà que l’on ne pourra pas les respecter…
Les réformes qui se succèdent modifient continuellement les critères de remboursement. La pression est de plus en plus forte sur les hôpitaux et les diverses structures sans pour autant apporter de réelles solutions de fond en rupture avec ce qui existe aujourd’hui. Dans un environnement contraint, les choix en SI à réaliser doivent surtout nous préparer à l’abandon par étape d’une tarification à l’activité au profit d’une rémunération à la pathologie tout au long du parcours. La convergence du Système d’Information (SI) est une étape à aborder de façon pragmatique avec un esprit d’ouverture favorisant le dialogue avec le secteur médico-social et les établissements privés.
A partir d’une vision et d’une approche prospective, nous devons éviter les pièges successifs d’une logique de plans qui conduisent irrémédiablement à un jeu de constructions, déconstructions bien trop chers, sources de tensions inutiles et de pertes de temps. Les futurs SI augmentés des GHT sont à considérer comme une escale pour un passage d’un ‘hôpital 2.0’ à un système de ‘santé 4.0’ rénové, support des futurs GHT v2, v3 laissant une place nouvelle au Big data, à l’intelligence artificielle, aux objets connectés et à la robotique. Pour que ce futur puisse prendre corps, il est indispensable que la puissance publique s’arme de nouvelles compétences pour définir et mettre en oeuvre une vraie stratégie industrielle de santé et qu’elle investisse plusieurs dizaines de milliards d’euros dans les nouveaux modèles économiques autour de l’Intelligence Artificielle comme le font déjà quelques pays comme la Chine, les Etats-Unis…
Lexique :
SI : Système d’Information
SIT : Système d’Information Territorial
Walk-In Clinic : Clinique sans rendez-vous fonctionnant avec des horaires étendus.
PACS : Système de gestion et d’archive des images en radiologie.
Isaac Ivanov : auteur de science-fiction, il a exposées notamment dans sa nouvelle Cercle vicieux (Runaround, 1942) ce qui a été appelé les 3 lois de la robotique :
- un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger ;
- un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi ;
- un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi