L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN MÉDECINE

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Philippe BOURHIS , Direction des Systèmes d’information SI Patient, AP-HP.

Depuis toujours, l’homme a cherché à réduire ses efforts et à améliorer sa productivité dans tous les domaines en se faisant aider de machines. Ces inventions présageaient l’avènement de technologies capables d’assurer des fonctions humaines en toute autonomie. Mais ce n’est vraiment qu’au milieu du XXe siècle que les scientifiques ont rêvé de créer un « cerveau électronique ».

L’apparition des ordinateurs, dans les années 1940-1950, rend possible le rêve de modéliser l’esprit comme une boite noire, le mathématicien Norbert Wiener lance la cybernétique, qu’il définit comme la science du fonctionnement de l’esprit humain.

Puis  les chercheurs se détournent alors de l’esprit pour se concentrer sur les neurones. C’est alors le début d’études autour du connexionnisme avec des essais de reproduction dans une machine du fonctionnement interne du cerveau humain, avec le développement de la traduction automatique sur ordinateur et un lien entre la pensée et le langage.

L’année 1950 sera un tournant décisif dans l’histoire de l’Intelligence Artificielle, avec la publication de l’article Alan Turing estimant que si un groupe d’observateurs ne pouvait pas distinguer l’ordinateur lors d’une communication écrite par mots imprimés d’un autre être humain dans plus de 50% des cas , alors il fallait accepter que l’ordinateur soit intelligent.

C’est en  1955, pour la première fois, à la conférence de Dartmouth, que l’on parle de concept d’Intelligence Artificielle.

L’IA est représentée par une machine construite pour résoudre des problèmes généralement résolus par des hommes et des femmes grâce à leur intelligence naturelle, une machine capable de progresser elle-même pour résoudre ces problèmes. Elle est donc un ensemble de notions s’inspirant de la cognition humaine ou du cerveau biologique, et destinées à assister ou suppléer l’individu dans le traitement des informations massives.

Les champs d’application de l’IA identifiés sont : la simulation des fonctions principales du cerveau humain, la programmation sur un ordinateur pour traiter du langage naturel, l’arrangement des neurones « hypothétiques » de manière à leur faire former ensemble des concepts, la détermination et la mesure de la complexité d’un problème, l’auto amélioration, le développement de la faculté d’abstraction , la créativité et le hasard.

En 1958,  le laboratoire d’intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology, le MIT est créé, les scientifiques et les médecins sont captivés par le potentiel de l’IA en médecine, des ordinateurs intelligents capables de stocker et de traiter de vastes quantités de connaissances,  aidant ou surpassant les cliniciens avec des activités de diagnostic. Une communauté d’informaticiens et de professionnels de la santé entreprennent alors de mettre au point un programme de recherche pour une nouvelle discipline appelée Intelligence Artificielle en Médecine – IAM. Ils définissent alors l’Intelligence Artificielle médicale comme la construction de programmes d’IA qui effectuent un diagnostic et font des recommandations thérapeutiques.

Mais le développement de l’IA n’est pas linéaire. Au milieu des années 1960, l’IA est confrontée à des freins tels que promesses de traductions automatiques en masse non tenues, la possibilité d’un ordinateur capable de battre le champion du monde d’échecs , quarante ans  plus tardive.

Après l’éclatement de la bulle Internet, au début des années 2000, l’IA est portée par une nouvelle vague, qui dure jusqu’à aujourd’hui notamment grâce au déploiement de serveurs de stockage avec une augmentation des capacités dans le Cloud, à l’amélioration des vitesses de calculs, à l’avènement du partage des connaissances avec disponibilité de bases de données massives de plus en plus matures, au développement continu de nouvelles méthodes algorithmiques comme l’apprentissage profond (deep learning).

Actuellement, l’Intelligence Artificielle se déploie fortement dans tous les domaines – l’automobile, l’aéronautique, la médecine ou encore la robotique démontrant son utilité et sa capacité à compléter l’homme voire à s’y substituer, le surpasser dans toutes les disciplines où sa vitesse de calcul et sa masse de connaissances dépassent déjà de loin les capacités du cerveau humain.

L’Intelligence Artificielle entre aujourd’hui dans une phase de croissance rapide notamment dans le domaine de la santé avec les usages suivants :

  • Le traitement des images et des vidéos (technologies de reconnaissance d’images)
  • Le traitement du langage (techniques de reconnaissance vocale ou agent conversationnel / Chatbot)
  • Les analyses prédictives (prédiction à partir d’un grand volume de données et de statistiques)
  • L’automatisation intelligente, tant dans l’industrie que dans les autres secteurs d’activités
  • La conception de robots humanoïdes
  • La bio-informatique
  • La simulation de systèmes complexes, pour mieux comprendre leur fonctionnement

L’IA peut soutenir à la fois la création et l’utilisation de connaissances médicales. Les systèmes d’Intelligence Artificielle Médicale sont généralement destinés à soutenir les hospitaliers, personnels de santé dans l’exercice normal de leurs fonctions, dans les tâches qui dépendent de la manipulation des données et des connaissances. Un système d’Intelligence Artificielle Médicale peut être exécuté dans un système de dossier médical électronique, par exemple, et alerter un clinicien lorsqu’il détecte une contre-indication à un traitement planifié. Il pourrait également alerter le clinicien lorsqu’il a détecté des tendances dans les données cliniques suggérant des changements significatifs dans l’état du patient.

En plus des tâches qui nécessitent un raisonnement avec des connaissances médicales, les systèmes d’Intelligence Artificielle Médicale ont également un rôle très différent à jouer dans le processus de la recherche scientifique. En particulier, les systèmes d’IA ont la capacité d’apprendre, conduisant à la découverte de nouveaux phénomènes et à la création de connaissances médicales. Par exemple, un système informatique peut être utilisé pour analyser de grandes quantités de données, à la recherche de motifs complexes qui suggèrent des associations auparavant inattendues. De même, avec suffisamment de modèle de connaissances médicales existantes, un système d’IA peut être utilisé pour montrer comment un nouvel ensemble d’observations expérimentales est en conflit avec les théories existantes.

Les techniques de l’IA

L’Intelligence Artificielle s’appuie sur de nombreuses disciplines scientifiques et sur des techniques qui s’améliorent au fil du temps.

Les systèmes experts

Les systèmes experts permettent un raisonnement avec des connaissances médicales

Les systèmes experts ou basés sur les connaissances sont le type le plus courant de système IAM dans l’utilisation clinique de routine. Ils contiennent des connaissances médicales, généralement sur une tâche très spécifique, et sont en mesure de raisonner avec des données provenant de patients individuels pour arriver à des conclusions motivées. Bien qu’il existe de nombreuses variantes, les connaissances au sein d’un système expert sont généralement représentées sous la forme d’un ensemble de règles.

Il existe différents types de tâches cliniques auxquelles des systèmes experts peuvent être appliqués :

  • Générer des alertes et des rappels : Dans les situations dites en temps réel, un système expert attaché à un moniteur peut avertir de changements dans l’état d’un patient. Dans des circonstances moins graves, il peut scanner les résultats des tests de laboratoire ou les commandes de médicaments et envoyer des rappels ou des avertissements par le biais d’un système de courrier électronique.
  • Assistance diagnostique : Lorsque le cas d’un patient est complexe, rare ou que la personne qui pose le diagnostic est simplement inexpérimentée, un système expert peut aider à établir des diagnostics probables basés sur les données du patient.
  • Critique thérapeutique et planification : Les systèmes peuvent rechercher des incohérences, des erreurs et des omissions dans un plan de traitement existant ou peuvent être utilisés pour formuler un traitement en fonction de l’état spécifique du patient et des directives de traitement acceptées.
  • Agents pour la recherche d’information : Les ‘agents’ logiciels peuvent être envoyés pour rechercher et récupérer des informations, par exemple sur Internet, qui sont considérées comme pertinentes pour un problème particulier. L’agent contient des connaissances sur les préférences et les besoins de son utilisateur, et peut également avoir besoin de connaissances médicales pour pouvoir évaluer l’importance et l’utilité de ce qu’il trouve.
  • Reconnaissance d’image et interprétation : De nombreuses images médicales peuvent maintenant être interprétées automatiquement, des radiographies planes à des images plus complexes comme les angiogrammes, les tomodensitogrammes et les IRM. Ceci est utile dans le cas des projections de masse, par exemple, lorsque le système peut signaler des images potentiellement anormales pour une attention humaine détaillée.

Le Machine Learning

Le machine Learning (apprentissage automatique) semble imposer sa suprématie dans la conception de tout logiciel ou application intelligente, c’est un procédé qui permet aux ordinateurs de s’améliorer grâce à l’apprentissage. D’abord, il faut bien retenir que ce n’est qu’une des techniques de l’IA même si les médias ne parlent généralement que de cela puisque celle-ci est très à la mode.

Par Machine Learning, on entend une somme d’algorithmes capables d’améliorer les performances de la machine au fur et à mesure qu’elle obtient des datas. C’est un principe d’entrées-sorties : on entre des informations en entrée, et on attend des informations en sortie. Si elles sont correctes, on le dit à la machine (on la supervise) et si elles sont fausses on le lui dit aussi. Et au fur et à mesure, elle apprend à avoir de plus en plus de conclusions correctes en sortie.

En bref, on ne sait pas créer un programme qui permet à la machine de reconnaître des images de chiens. Mais on sait programmer une machine qui pourra apprendre car on lui montrera des milliers d’exemples, qui en tirera des conclusions et qui nous proposera des interprétations de ces images que nous validerons ou non et, à force, se trompera de moins en moins.

Le Deep Learning

Le Deep Learning (apprentissage profond) est en train d’amplifier les capacités et les prouesses de l’Intelligence Artificielle. Son utilisation et son perfectionnement pourraient accélérer la mise en place de machines capables de raisonner, c’est une “technologie d’apprentissage”, basée sur des réseaux de neurones artificiels. Cette technique permet à un programme de reconnaître le contenu d’une image ou de comprendre le langage parlé.

D’autres techniques appliquées (notamment via les systèmes multi-agents) vont dans un futur proche accélérer encore le mouvement du traitement de l’information et des actions qui en découlent.

Systèmes diagnostiques et éducatifs

Au cours de la première décennie de l’IAM, la plupart des systèmes de recherche ont été développés pour aider les cliniciens dans le processus de diagnostic, généralement dans l’intention de l’utiliser lors d’une rencontre clinique avec un patient. La plupart de ces premiers systèmes ne se sont pas développés plus loin que le laboratoire de recherche, en partie parce qu’ils n’ont pas obtenu suffisamment de soutien de la part des cliniciens pour permettre leur introduction systématique.

Il est clair qu’une partie de la base psychologique pour développer ce type de soutien est maintenant considérée comme moins convaincante, étant donné que l’évaluation de la situation semble être un problème plus important que la formulation diagnostique. Cependant, certains de ces systèmes ont continué à se développer et se sont transformés en partie dans les systèmes éducatifs.

  • DXplain est un exemple de l’un de ces systèmes d’aide à la décision clinique. Il est utilisé pour aider dans le processus de diagnostic, en prenant un ensemble de résultats cliniques, y compris les signes, les symptômes, les données de laboratoire et ensuite produit une liste de diagnostics classés. Il fournit une justification pour chacun des diagnostics différentiels et suggère d’autres investigations. Le système contient une base de données de probabilités grossières pour plus de 4 500 manifestations cliniques associées à plus de 2 000 maladies différentes.

DXplain est couramment utilisé dans un certain nombre d’hôpitaux et d’écoles de médecine, principalement à des fins d’enseignement clinique, mais il est également disponible pour consultation clinique. Il a également un rôle en tant que manuel médical électronique. Il est capable de fournir une description de plus de 2000 maladies différentes, en mettant l’accent sur les signes et les symptômes qui se produisent dans chaque maladie et fournit des références récentes appropriées pour chaque maladie spécifique.

Les systèmes d’aide à la décision ne doivent pas être «autonomes» mais peuvent être profondément intégrés dans un système de dossiers médicaux électroniques.

  • Le système HELP est un système d’information hospitalier fondé sur la connaissance, mis en service dès 1980. Il prend en charge non seulement les applications de routine d’un système d’information hospitalier (SIS), y compris la gestion des admissions et des rejets et la saisie des commandes, mais fournit également une fonction d’aide à la décision. Le système d’aide à la décision a été activement incorporé dans les fonctions des applications HIS de routine. L’aide à la décision fournit aux cliniciens des alertes et des rappels, des services d’interprétation des données et de diagnostic des patients, des suggestions de gestion des patients et des protocoles cliniques. L’activation de l’aide à la décision est fournie dans les applications, mais peut également être déclenchée automatiquement lorsque les données cliniques sont entrées dans le dossier médical informatisé du patient.
  • Systèmes d’information de laboratoire experts

L’un des domaines les plus réussis dans lesquels les systèmes experts sont appliqués est dans le laboratoire clinique. Les praticiens peuvent ne pas savoir que, même si le rapport imprimé qu’ils reçoivent d’un laboratoire a été vérifié par un pathologiste, l’ensemble du rapport peut maintenant avoir été généré par un système informatique qui a automatiquement interprété les résultats du test. Des exemples de  systèmes tels  PUFF élaboré pour l’interprétation automatique des tests de fonction pulmonaire. GermWatcher qui vérifie les infections nosocomiales ,un exemple plus général de ce type de système est le système PEIRS (Pathology Expert Interpretative Reporting System).

L’intelligence artificielle est donc un ensemble de technologies avancées qui permet aux machines de percevoir, de comprendre, d’agir et d’apprendre.

Comment l’intelligence artificielle révolutionne la médecine personnalisée

« 98% de la santé, aujourd’hui, c’est du curatif. L’intelligence artificielle permettra de basculer sur une médecine plus préventive » – Des pathologies mieux détectées et décelées plus tôt permettra de s’attaquer plus rapidement aux pathologies et de gagner du temps dans leur traitement… voire d’intervenir avant même l’apparition d’une maladie.

Le défi historique avec les données                                           

Les hôpitaux, comme les entreprises, se sont noyés dans le big data. À partir du moment où les médecins commencent à tenir des dossiers de patients, ils – et maintenant les hôpitaux – accumulent de grandes quantités de données complexes dans les dossiers médicaux des patients ; y compris des notes manuscrites, des résultats de rayons X, des échantillons de sang, des signes vitaux, des séquences d’ADN, et plus encore. Historiquement, ces données étaient disparates et n’existaient que sur des copies papier, ce qui les rendait presque impossible à analyser globalement. Maintenant, avec l’IA, les outils d’analyse et d’autres avancées technologiques, il existe un moyen d’organiser, d’analyser et de recouper les données, permettant aux hôpitaux, aux médecins et aux chercheurs d’utiliser ces données.

L’IA affecte presque tous les aspects de l’industrie des soins de santé, la sécurité hospitalière et le développement de médicaments pharmaceutiques.

L’IA révolutionne en effet la médecine personnalisée. Bien qu’il y ait généralement une solution à tout problème, souvent, ce n’est pas que nous ne pouvons pas voir la solution, c’est que nous ne pouvons pas identifier correctement le problème. L’IA est capable d’apprendre à partir de chaque donnée qui lui est transmise et de réévaluer rapidement son analyse au fur et à mesure que davantage de données sont reçues. Cela permet aux médecins et aux chercheurs de mieux identifier les problèmes et, par la suite, les solutions potentielles à ces problèmes.

Détecter les cancers plus tôt, et plus précisément, pour améliorer les diagnostics et les traitements : à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, l’intelligence artificielle révolutionne la médecine, améliore le diagnostic des cancers avec l’adoption de iBiopsy. Cette plateforme d’intelligence artificielle y révolutionne le traitement des pathologies, notamment le cancer du foie. Des méthodes d’imagerie médicale combinées au deep learning et au big data analytics permettent de mieux extraire les biomarqueurs de la progression de la maladie.

L’objectif : améliorer le diagnostic du patient – et donc sa prise en charge.

Concrètement, l’intelligence artificielle aide les médecins à extraire, depuis les images médicales, des informations très utiles mais difficiles à repérer, voire indétectables à l’œil nu. Des informations qui permettent d’établir des diagnostics plus précoces et plus précis.

L’intelligence artificielle peut améliorer notre capacité de diagnostic, notamment des maladies rares, grâce à une capacité d’analyse des bases de données infinie.

Le National Cancer Institute s’est associé à NVIDIA Corporation  pour développer un cadre d’IA – alimenté par des adaptateurs Mellanox InfiniBand et visant à suralimenter la recherche sur le cancer. Le cadre, CANDLE (Cancer Distributed Learning Environment), tirera parti de l’IA pour extraire et étudier des millions de dossiers de patients dans le but de comprendre comment le cancer se propage et se reproduit. Ceci est un exemple d’IA capable de verser rapidement de grandes quantités de données génomiques afin que les médecins puissent tirer des conclusions.

Une étude récente publiée dans Neurobiology of Aging a révélé que l’IA pourrait aider à détecter les signes de la maladie d’Alzheimer dans les scanners du cerveau des patients avant les médecins. L’Intelligence Artificielle est actuellement utilisée pour étudier les scans de cerveaux sains et de cerveaux atteints d’Alzheimer pour apprendre et identifier les systèmes révélateurs de la maladie.

La communauté médicale vient juste de commencer à explorer ce qui peut être réalisé avec l’IA.

L’intelligence artificielle permet aujourd’hui d’automatiser la formation de diagnostic à partir d’imageries – scanners, échographies -, avec des retours très positifs, à confirmer par des essais cliniques.

Philippe BOURHIS , Direction des Systèmes d’information SI Patient, AP-HP.

Mais l’IA connait aussi des freins : des freins d’ordres culturel et législatifs. Le premier est lié au corps médical et au temps d’adaptation et d’intégration nécessaire de ces technologies. Si certains médecins sont enthousiastes à l’idée d’être épaulés par les technologies, d’autres sont plus sceptiques, voire critiques. Ils ont en effet le sentiment d’être remplacés par des machines. Le second frein est d’ordre législatif, et demande l’ouverture d’un débat politique, juridique et éthique. Les enjeux autour de la protection de la donnée par exemple sont très nombreuses. La vigilance est une très bonne chose, mais elle peut être aussi un vrai frein. Si une machine délivre un mauvais diagnostic, qui sera responsable ?

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement les positions de l’AP-HP.

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