La Télé consultation dans le droit commun : on y est ! oui mais sous quelles conditions ?

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Presque dix années après l’entrée en vigueur de la première loi en France qui a conféré la première base légale à la pratique de la télémédecine[1], certains actes prévus par le décret d’application de ladite loi en date du 19 octobre 2010[2] rentrent dans le droit commun de la sécurité sociale. Certains uniquement, car parmi les 5 actes prévus par le texte, seuls deux d’entre eux sont concernés : la télé consultation et la télé expertise[3]. La télé surveillance, encore en expérimentation, sera certainement le prochain acte visé par le Code de la sécurité sociale après que les résultats des expérimentations ETAPES soient analysés. La télé assistance, en revanche, n’est pas encore au programme des lois de financement de la sécurité sociale.

Néanmoins, si la télé consultation fait désormais partie des actes remboursés par la sécurité sociale, cette prise en charge est soumise à des conditions définies par les arrêtés du 1er et 16 aout 2018[4].

Les conditions de prise en charge par l’assurance maladie de l’acte de télé consultation médicale. Si nous devions résumer ces conditions en quelques mots nous pourrions dès lors indiquer que pour être remboursé par l’assurance maladie, l’acte doit être proposé dans le respect du parcours de soins coordonné. Cette condition s’explique par le fait que la télé médecine n’a pas pour vocation à « remplacer » le médecin traditionnel, ou de ne « proposer » qu’une prise en charge médicale dématérialisée. La télé médecine a été pensée pour pallier les déserts médicaux, aider les professionnels de santé à améliorer la prise en charge de leur patient, et l’accès aux soins. En cela, elle ne peut avoir pour effet d’être une solution visant à désorganiser le système de santé. Pour s’en garantir, les arrêtés d’aout 2018 font du médecin traitant : le maître du jeu. Ainsi, seul lui peut décider de recourir à la télé consultation d’un patient qu’il suit habituellement (depuis au moins 12 mois) et qu’il a déjà eu l’occasion de rencontrer ou d’orienter le patient vers un médecin télé consultant quand la télé consultation n’est pas réalisée avec lui. Précisons, à toutes fins utiles, que les arrêtés ouvrent plus globalement la télé consultation à tout médecin exerçant une activité libérale conventionnée, quel que soient son secteur d’exercice et sa spécialité médicale. A la lecture de cette condition, la question a été posée de savoir si les télé consultants pouvaient être des praticiens hospitaliers. Question pertinente, dans la mesure où les textes visent précisément les médecins libéraux. Néanmoins, cela s’explique par le fait que les arrêtés d’aout 2018 ont été adoptées après la signature de l’avenant n°6 à la convention médicale de 2016, en juin 2018 qui ne concerne que les médecins libéraux. La direction générale de l’organisation des soins précise dès lors que les télé consultations réalisées par les médecins salariés des établissements de santé mais uniquement dans le cadre des consultations externes et les médecins salariés des centres de santé sont également prises en charge par l’assurance maladie dès lors qu’elles sont proposées dans le respect du parcours de soins[5].

Cette précision étant faite, et afin de garantir le cadre imposé par les arrêtés, il est prévu que le recours à la télé consultation doit s’effectuer en alternance avec des consultations dites en présentiel. Cette volonté de favoriser le maintien du contact physique ou visuel, bien que dématérialisé, se retrouve également dans la condition de vidéo transmission. En effet, seules les télé consultations réalisées par visioconférence sont reconnues par l’assurance maladie comme ouvrant droit au remboursement par l’assurance maladie, en sont donc exclues les télé consultations par voie téléphonique et avec elles, les plateformes de télé conseil médical phonique. Une attention toute particulière devra être portée au choix de l’outil qui va permettre de réaliser l’acte de télémédecine[6]. Le Télé médecin, devra veiller à ce que cet outil lui permette de garantir ses obligations professionnelles, parmi lesquelles le secret professionnel. Dès lors il devra être attentif à ce que cet outil permette une connexion sécurisée et fiable, qu’il propose une messagerie sécurisée pour communiquer par écrit avec le patient ou des confrères et qu’il garantit la traçabilité de la facturation des actes réalisés. Les données générées par la télé consultation devront être traitées conformément à la loi informatique et liberté récemment modifiée par la loi du 20 juin 2018 et stockées de manière sécurisée. Enfin, l’ensemble doit être proposé dans les conditions respectueuses des référentiels de sécurité et d’interopérabilité concernant la transmission et les échanges de données. Ces obligations s’imposent au télé consultant qui s’y engage envers son patient.

Sur ce point, il appartient également au Télé médecin de veiller à ce que le patient dispose du matériel nécessaire pour procéder à la visio conférence et qu’il soit situé sur un ressort géographique permettant une connexion internet de bonne qualité[7].

Enfin, une fois réalisé, l’acte de télé consultation doit faire l’objet d’un compte rendu établi par le médecin télé consultant qu’il doit archiver dans son dossier patient.

Les tempéraments au parcours de soins coordonné. Les arrêtés ont prévu des hypothèses d’accès à la télé consultation hors parcours de soins. Ces hypothèses concernent les patients mineurs de moins de 16 ans ainsi que les spécialités médicales accessibles directement (gynécologie, ophtalmologie, stomatologie, chirurgie orale ou chirurgie maxi faciale, psychiatrie, neuropsychiatrie et pédiatrie). En outre, l’exigence du respect de parcours de soins coordonné ne s’applique pas aux patients qui ne disposent pas de médecin traitant désigné ou dont le médecin traitant n’est pas disponible dans le délai compatible avec leur état de santé. Il appartient au patient de justifier l’indisponibilité de son médecin traitant par tous moyens. Dans cette hypothèse, le recours à la télé consultation est assuré dans le cadre de l’organisation territoriale. Il peut s’agir des CPTS[8], d’ESP[9], MSP [10], CDS[11] ou tout autre organisation territoriale qui propose une réponse en télémédecine coordonnée et ouverte à tous les professionnels de santé du territoire. Sur ce point, signalons également l’avenant n°15 de la convention nationale pharmaceutique signé le 6 décembre 2018 qui permet aux officines pharmaceutiques, en contrepartie d’une rémunération, d’être des points d’accès aux télé consultations médicales proposées sur le territoire[12].

En tout état de cause, le télé médecin ainsi sollicité doit établir un compte rendu de la télé consultation dont il gardera un exemplaire et devra en transmettre un au médecin traitant et ou au médecin ayant sollicité l’acte.

La téléconsultation est facturée par le médecin télé consultant au même tarif qu’une consultation en présentiel et les majorations peuvent s’y ajouter dans les mêmes conditions.

Les responsabilités juridiques encourues. Le décret du 19 octobre 2010 récemment mis à jour par le décret du 13 septembre 2018 n’a pas prévu de régime spécial de responsabilité. Ainsi la pratique de la télé consultation est une cause de sinistralité comme une autre. Il n’en demeure pas moins que les points de vigilance du télé médecin qui s’engage envers son patient sont plus nombreux (notamment choix de l’outil, traitement et responsabilité des données générées), et augmentent les risques d’un contentieux. C’est à ce titre que le télé médecin doit, avant de s’engager dans la pratique de la télé consultation, veiller au sérieux des fournisseurs d’outils et aux opérateurs et surtout doit informer le patient de ce que la télé consultation suppose en termes de respect de ses droits afin que le patient puisse consentir de manière éclairée.

Lina Williatte
Vice-Présidente de la Société Française de Télémédecine.
Professeur de droit. Université Catholique de Lille
Avocat au Barreau de Lille

 

[1] Loi du 29 juillet 2009- 879 dite loi HPST

[2] Décret n°2010-1229

[3] Seule la télé consultation sera traitée dans cet article

[4] Arrêté du 1er aout 2018 NOR: SSAS1821639A et du 16 aout NOR:  SSAS1822647A

[5]https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/telemedecine/article/la-teleconsultation

[6] Précisons que les arrêtés prévoient : un forfait de structure dédié à l’équipement de vidéo transmission de 350 euros + un forfait complémentaire de 150 euros (pour l’acquisition de certains dispositifs connectés : tensiomètre etc. dont la liste doit être publiée par l’UNCAN)

[7] Ces conditions difficilement vérifiables pour le télé médecin devront faire l’objet d’une note d’information à destination des patients indiquant les conditions d’accès à la télé consultation

[8] Communautés Professionnelles Territoriales de Santé

[9] Equipes de Soins Primaires

[10] Maisons de Soins Pluri professionnelles

[11] Centre de santé

[12] Communiqué de presse de la FSPF du 06 décembre 2018

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