« Grâce au numérique l’hôpital de demain pourra mieux s’adapter aux rythmes de vie du patient »
Anne-Céline, Cédric et Hervé sont tous les trois élèves directrice et directeurs d’hôpital à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP). Formés pendant deux ans à leurs futures fonctions après avoir passé un concours exigeant pour entrer dans la fonction publique, ils sont actuellement en stage de direction dans différents hôpitaux sur tout le territoire. En phase avec leur époque, ils ne conçoivent pas l’hôpital sans parler « numérique ». Ils livrent ici leur vision sans tabous de l’hôpital d’aujourd’hui et de demain sous l’angle des systèmes d’information. Bienvenue dans la matrice !
Anne-Céline Labansat-Bascou, Cédric Piaud et Hervé Blanc sont respectivement en stage au Groupe Hospitalier Nord Essonne, au Centre hospitalier de Saint-Malo et au Centre hospitalier Le Vinatier à Bron près de Lyon.
Quels sont, selon vous, les grands défis en matière de numérique et de systèmes d’information hospitalier dans les prochaines années ?
Anne-Céline : A court terme, bien sûr, on peut espérer que le dossier patient soit complètement informatisé dans l’ensemble des hôpitaux avec des possibilités d’interface entre les établissements pour faciliter les prises en charge. De plus, le développement de la prise de rendez-vous en ligne, déjà engagé par de nombreux hôpitaux publics, est une vraie opportunité et un défi en matière de réorganisation interne des services, habitués à gérer leurs plannings et leurs créneaux avec, pour certains, des pratiques d’annulation de rendez-vous encore trop fréquentes. Par ailleurs, le développement d’objets connectés pour suivre les patients même à domicile, sans avoir besoin de les voir en permanence et en les responsabilisant, est un challenge pour les hôpitaux qui doivent concevoir complètement autrement le suivi des patients. Enfin, la télé-imagerie permet d’ores-et-déjà de pallier le manque de radiologues dans certains établissements qui doivent conserver une activité d’imagerie.
A plus long terme va se poser un gros enjeu de de sécurisation de l’accès aux bases de données qui n’est pas encore anticipé du fait de son coût et de son ampleur mais qui va être nécessaire. Enfin, je dirais qu’il y a un énorme enjeu d’archivage, de stockage des données et d’espace nécessaire à tout cela.
Un système d’information partagé, ouvert sur la ville et le médico-social
Hervé : Pour moi, l’enjeu principal se situe sur l’interopérabilité des différents systèmes. Les hôpitaux étant autonomes juridiquement, ils ont on eut tendance à développer eux-mêmes leurs propres systèmes ou à avoir recours à des éditeurs très variés, cela ayant pour conséquence un grand éparpillement des différents systèmes d’information. Cela s’est accompagné également d’un éclatement des compétences des informaticiens eux-mêmes. Dès lors, donner de la cohérence à tout cela nécessite des investissements importants.
Cédric : Je vois trois défis. Premièrement, un système d’informations partagé ouvert sur la ville et le médico-social, de façon à être en phase avec un parcours patient fait d’allers-retours. Ainsi le système d’information va devenir davantage territorial et intersectoriel. Il doit être partagé et donc convergent avec pour guide le parcours du patient et non la structure hospitalière. Le deuxième défi est celui de la mobilité. Les praticiens auront à l’avenir un exercice professionnel de plus en plus territorialisé. Ils auront à se déplacer sur plusieurs sites ou à interpréter à distance. Cela présuppose des supports plus ergonomiques et plus facilement travaillables quand on est mobile, comme des tablettes par exemple. Le troisième défi est celui du service au patient : facilités de paiement, dématérialisation de factures, prise de rendez-vous.
Y voyez-vous aussi des risques ?
Anne-Céline : Il y a un risque énorme de pertes de données si la sécurisation et l’archivage sont insuffisamment réfléchis. De plus, il existe un risque lié à la sécurité des données avec des masses aussi importantes d’informations, qui est conséquent et pas encore anticipé. Côté patients, il y a aussi des risques qu’ils soient trop, parfois mal, informés, ce qui peut être anxiogène. Enfin il ne faut pas négliger le risque de dérapage dans les coûts. Des investissements lourds en logiciel qui changent souvent, des problèmes de formation à renouveler…
Des praticiens deux ou trois étoiles
Cédric : Il faut sécuriser l’accès aux données pour éviter un risque de manipulation : c’est-à-dire que chacun puisse tout savoir sur tout sans filtre ou que l’intégrité des identités soit remise en question. Face à ce risque, il y a le système des hébergeurs de données de santé. C’est une question qui va se poser à mon sens dans le cadre des projets communs de territoire au sein des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT) car ce dernier n’aura pas la personnalité morale. J’y vois un enjeu de gouvernance.
On va sûrement s’acheminer également vers une évaluation grandissante des services à l’hôpital. On voit déjà monter des sites internet comme hospitalidee.fr, qui est un peu « un Tripadvisor des hôpitaux ». Le bouche à oreille tel qu’il était pratiqué par tout le monde par le passé est démultiplié dans ses effets par ces sites et par les réseaux sociaux. C’est un enjeu fort de démocratisation de l’information hospitalière et de réputation médicale mais cela pose certaines questions éthiques notamment quant à l’évaluation par le patient des professionnels de santé. On peut imaginer qu’à l’avenir il y a aura des praticiens hospitaliers deux étoiles, trois étoiles et que cela pourra être un critère de choix comme le choix d’un hôtel tel qu’il existe aujourd’hui via les plateformes de réservation.
Hervé : La question s’est posée de la création d’un service public de l’information hospitalier, la colonne vertébrale du SI étant assurée par une agence nationale qui pourrait gérer l’identité des patients. Cela pourrait être une réponse au fait que les patients sont de plus en plus voyageurs. Cela n’a rien d’utopique puisque l’on a déjà un hébergeur national de données gravitant autour de la santé en France : la Sécurité sociale ! Il n’y aurait pas de velléité d’exploitation commerciale ou assurantielle car la garantie de bonne gestion serait assurée par la puissance publique.
Quel doit être selon vous le rôle du directeur d’hôpital dans ces transformations ?
Anne-Céline : Le directeur d’hôpital répond à la demande qui est déjà forte en matière de numérique : approfondissement du dossier patient informatisé dans les établissements ayant déjà commencé et adhéré à la démarche, déploiement d’ordinateurs, mise en place de prise de rendez-vous en ligne… En parallèle, il impulse des mouvements nouveaux et anticipe les tendances ou les contraintes à venir (archivage, sécurisation des données, changements de logiciel…). Enfin, il a un rôle de communicant, il permet d’expliquer et de faciliter ces transitions pour les agents. Il sert de traducteur ou de facilitateur du dialogue entre un langage technique et des besoins concrets.
Hervé : le système d’information reste un moyen au service d’une stratégie. On dit qu’à partir de 2% des produits affectés, on « commence » à investir dans le système d’information. Il ne faut pas oublier que c’est un levier d’efficience, de qualité des soins, de qualité du service rendu au patient. L’arbitrage entre l’adaptabilité de l’outil et son coût doit être en permanence à l’esprit du décideur. Il doit faire la synthèse des intérêts contradictoires des communautés qui font l’hôpital pour réaliser ces arbitrages quant au système d’information.
La fin du directeur bâtisseur
Cédric : Le rôle du directeur est de « calibrer ». Il ne faut pas voir trop petit car les besoins et les usages des utilisateurs évoluent très vite. Et au contraire les projets pharaoniques et coûteux de systèmes d’information ont fait long feu en montrant leurs limites en termes d’usages au quotidien lorsqu’ils ne raisonnent pas « métier ». L’outil doit donc être souple et adaptable dans le temps. A cela il faut ajouter les coûts de maintenance qui ne sauraient être négligés. Si on atomise trop les éditeurs et les matériels, on risque d’avoir un coût de maintenance trop élevé qui va pomper tout le budget dédié et remettre en cause les nouveaux projets. Il faut donc une vision pour investir dans le système d’information.
Hervé : Il faut noter qu’on voit depuis une quinzaine d’années se mettre en œuvre des projets architecturaux extrêmement ambitieux. Souvent l’intégration du SI arrive à la fin du projet architectural. La logique doit pourtant être inverse : une architecture adaptable en essayant de la faire coller aux maximum aux performances des outils informatiques. L’architecture hospitalière de demain est une architecture modulaire, qui va évoluer en même temps que les nouvelles technologies. Dans un monobloc ce n’est pas toujours facile de tirer des câbles… Le rôle du directeur d’hôpital c’est d’imaginer un établissement qui évolue avec les besoins et les outils. C’est un peu la fin du « directeur bâtisseur » en somme.
Le système d’information reste encore trop vu comme un coût
Cédric : Il reste également je pense encore un gros travail de communication à effectuer de la part des directions vis-à-vis des patients sur les innovations dans les SI, par exemple quand de nouveaux services sont mis en place comme le paiement en ligne. Cela n’est pas dans notre culture hospitalière de « vendre » ce nouveau service au patient, mais également dans la communication auprès des agents et notamment des médecins. Le SI reste encore trop vu comme un coût, mais il s’agit aussi d’un moteur de développement de services.
Comment votre formation à l’EHESP et dans les établissements vous y prépare-t-elle ?
Anne-Céline : A l’EHESP nous appréhendons les grands enjeux des systèmes d’information pour avoir une vision stratégique. Dans mon établissement je participe à des projets qui ne sont pas que SI mais, au final, tous les projets que l’on mène passent par l’informatique, acteur incontournable dans la gestion de projet.
Hervé : Dans mon établissement je suis chargé de travailler sur l’application de l’article 72 de la loi de santé. L’objectif est de suivre les contentions quasiment heure par heure pour savoir à tout moment quel patient est en situation de contention, pour combien de temps, qui l’a prescrit, qui le surveille… Il faut que le système d’information trace ces contentions. C’est un travail qui se fait entre le directeur des systèmes d’information et le département de l’information médicale.
Cédric : A Saint-Malo, un dossier important est la mise en place du dossier patient communautaire prévue d’ici la fin de l’année en commun sur deux territoires de santé. Des groupes de travail par type de prise en charge ont été montés et chacun réfléchit sur des scénarios qui pointent un instant particulier dans la prise en charge. Par exemple, un patient d’un EHPAD arrivant aux urgences dont on doit connaitre le dossier médical et l’historique. Ces focus doivent permettre de s’assurer que l’éditeur proposera bien les fonctionnalités métiers attendues par l’utilisateur.
Mon rêve : un hôpital sans étiquettes !
On parle de plus en plus d’hôpital et de patient “connecté” : comment imaginez-vous le fonctionnement de l’hôpital en la matière en 2030 ?
Anne-Céline : En 2030 j’espère que les hôpitaux auront tous des dossiers patients informatisés opérationnels. Avec les groupements hospitaliers de territoire, ils devraient avoir des DPI échangeables entre établissements. En 2030, les prises de rendez-vous pour les consultations seront, pour beaucoup, en ligne. Les rappels de rendez-vous, des précautions opératoires, se feront par mail. De plus en plus de patients pourront être suivis à domicile pour des maladies chroniques, sans être à l’hôpital. La facturation sera plus fluide, notamment grâce à du codage plus rapide, à la préadmission en ligne, au règlement sur internet.
Hervé : Le rêve ce serait qu’on invente un système pour qu’il n’y ait plus d’étiquettes à l’hôpital. Dans l’hôpital de demain j’aimerais que le patient puisse aller partout sans ces fichues étiquettes !
Cédric : Je vois l’hôpital de demain travailler sur des modélisations de parcours patient en lien avec la place grandissante de l’usager. Ce travail permettra de mieux prévoir les besoins et les infrastructures. On pourrait même imaginer que l’hôpital anticipe l’appel du patient avant son épisode de santé grâce aux relevés des données en temps réel du patient. Dans la même logique on peut imaginer un codage pré-rempli pour faciliter la tâche des médecins en la matière tout en leur laissant le soin de modifier en fonction des prises en charge particulières. On peut enfin imaginer un hôpital plus volontaire et mieux interconnecté avec la médecine de ville. Ça ne devrait plus être un parcours du combattant pour le patient. En résumé, en 2030 je souhaiterais que ce ne soit plus le patient qui aille vers l’hôpital mais l’hôpital qui aille vers le patient.
Propos recueillis par Clément TRIBALLEAU
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