Voilà quelques années que les constats du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques sont partagés. Les dépenses d’assurance maladie explosent, le système de santé français arrive à ses limites. Il faut le repenser, trouver des solutions innovantes. La e-santé renvoie 15 700 000 résultats sur Google, le seul segment de la télémédecine représente plus de 400 projets en France et pourtant les solutions semblent peiner à se généraliser. Comment concentrez nos efforts et faire de ces technologies une réalité quotidienne pour les professionnels de santé comme les patients ?
Après la fin des années 2000 et le début de notre décennie consacrés aux projets basés sur l’élaboration de nouvelles technologies, qui ont su progressivement s’adapter aux vrais usages, les industriels regorgent de solutions et il n’existe que très peu de barrière technologique. Les systèmes d’information sont devenus agiles, commercialisables en SaaS (paiement à l’usage), les données sont hébergées de façon sécurisée avec traçabilité des accès et les dispositifs médicaux sont communicants. L’enjeu n’est plus l’innovation technologique.
L’innovation est désormais concentrée sur la quête du « modèle économique ». Qui va payer et pourquoi ? Question d’autant plus complexe dans un pays où :
- le patient n’a jamais payé de sa poche,
- le modèle social, pilier et fierté du pays, permet à un malade atteint d’une pathologie chronique de bénéficier d’une prise en charge à 100% de ses coûts par l’assurance maladie obligatoire avec le statut Affection de Longue Durée alors que les maladies chroniques représentent environ les 2/3 des coûts de tout système de santé.
Cette dernière spécificité française fait des assureurs du régime obligatoire les uniques bénéficiaires des économies générées par les programmes de prévention et de suivi de malades chroniques notamment en télémédecine. De là, le principal marché pour les solutions d’e-santé consiste à tenter d’interagir avec ces acteurs.
Pour la CNAMTS, le principal projet en France est opéré directement au niveau national et consiste en un programme de prévention et de suivi de malades chroniques baptisé sophia. Il s’agit d’accompagner les malades par des entretiens téléphoniques réguliers pour mieux comprendre et prévenir les facteurs aggravant de la maladie et aider le patient à être davantage acteur de sa prise en charge en travaillant sur son comportement et en apportant un soutien aux professionnels de santé dans le suivi de leur patient. Doté de cinq centres en France de quelques dizaines d’infirmiers conseillers pour une population de plus de 650 000 patients diabétiques, souffrant de maladies respiratoires et cardiovasculaires, ce programme est le plus ambitieux en Europe sachant que d’autres pathologies chroniques pourront venir s’y associer progressivement. Ce type de programme vise notamment à réduire les coûts par un meilleur respect des recommandations sur les parcours de soins et le suivi de la maladie.
Une seconde initiative baptisée PRADO, Programme d’Accompagnement du retour à Domicile des patients hospitalisés, doit permettre d’accompagner les établissements dans une amélioration de la sortie d’hospitalisation. Ce programme a démarré en 2012 par le retour anticipé de maternité et se déploie aujourd’hui dans le domaine de la chirurgie orthopédique et prochainement dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Pour la maternité, si l’accouchement s’est bien déroulé, que l’état de santé et celui du bébé sont satisfaisants : l’équipe médicale donne son accord pour le retour à domicile. Un conseiller de l’Assurance Maladie propose, avant la sortie de l’établissement, la visite d’une sage-femme libérale dès le retour à domicile. Elle effectuera les examens et les soins nécessaires, répondra aux questions de santé, d’allaitement, d’état de santé de l’enfant, du poids, des soins à lui apporter et pourra orienter le patient vers d’autres professionnels de santé si cela est nécessaire. Deux visites sont prévues dans les 12 jours suivant l’accouchement et sont prises en charge à 100 % par l’Assurance Maladie. C’est le conseiller qui assure une prise de contact avec la sage-femme libérale choisie par le patient et qui sera l’interlocuteur privilégié pour toute question relative à ce nouveau service. En février 2014, ce dispositif représentait uniquement 1240 patients pour l’Ile de France mais connait une vive augmentation depuis.
En complément, l’assurance maladie peut par le Fonds d’Intervention Régionale, doté de 3Mds (sur les 180Mds de l’ONDAM), permettre aux ARS, notamment dans 9 régions pilotes, d’expérimenter le financement de solutions de télémédecine. Quelques protocoles sont aujourd’hui explorés en ambulatoire dont on peut trouver une liste sur le site de la HAS.
Enfin, certains acteurs cherchent à conventionner une solution dès lors qu’il s’agit d’un dispositif médical avec un marquage CE pour qu’il soit prescrit et remboursé. Ce dispositif peut être matériel ou logiciel. C’est un modèle bien connu des laboratoires pharmaceutiques et qui aujourd’hui nécessite sans doute un peu plus de flexibilité pour répondre aux solutions digitales d’accompagnement patient. En effet, plusieurs start-up françaises ont décidé de privilégier les Etats-Unis pour lancer leur solution estimant le délai d’autorisation et de conventionnement trois fois inférieur. C’est une perte évidente pour notre pays.
Enfin, l’Accord National Intergouvernemental de janvier 2013 qui introduit une assurance complémentaire collective obligatoire au 1er janvier 2016 a considérablement accru la concurrence de ce secteur et a dopé l’émergence de services de prévention qui permettent aux assureurs de se différencier. Si ces budgets sont sans commune mesure avec les programmes d’accompagnements de patients chroniques du régime obligatoire, ils sont un premier débouché commercial pour beaucoup de sociétés. Le projet le plus innovant est le programme VIVOPTIM de la MGEN qui ambitionne de pouvoir se déployer aussi sur la partie délégation de gestion du Régime Obligatoire. Il propose à l’ensemble des adhérents MGEN dans un pilote déployé sur 2 régions pour un total de 40 000 patients un dépistage sur le risque cardiovasculaire et un ensemble de services de prévention : coaching hygiéno-diététique, accompagnement au respect des recommandations du parcours de soins et télésurveillance médicalisée pour insuffisance cardiaque.
Pour le vieillissement, régler le défi de la dépendance suppose de répondre au préalable à plusieurs questions. Jusqu’à quand une personne est-elle mieux chez elle que dans un établissement de soins et jusqu’à quand coûte-elle vraiment moins cher pour la société ? Cette question se décline au niveau des coûts de l’organisation et des dispositifs « innovants » nécessaires au maintien à domicile comme à l’organisation et aux coûts des établissements d’accueil spécialisés et notamment des parcours de soins proposés. La prise en charge des personnes âgées renvoie à des questions éthiques très fortes à l’échelle du soin prodigué à un individu comme au niveau des conceptions collectives du vieillissement. Le rapport IGAS de 2011 sur l’impact des modes d’organisation sur la prise en charge du grand âge questionne ainsi : « Quels sont les justes actes qui donneront de la qualité aux années à vivre de la personne âgée ? Quel équilibre trouver entre le cure et le care ? »
Dans nos deux exemples, les technologies sont mâtures, les nouveaux modes de prise en charge sont expérimentés et documentés en France ou ailleurs. Il y a maintenant deux ans nous concluions le livre blanc du Pôle Finance et Innovation sur le Bien-Vieillir par quelques interrogations qui sont encore trop d’actualité : « Comment passer de l’expérimentation à un déploiement national ? Comment maintenir le juste niveau de services acceptable par la société avec un financement limité à la répartition ? Comment proposer des conditions de marché qui permettront aux industriels de structurer des offres ? Les rendre compétitives et donc exportables ? Comment faire de notre système de santé un axe majeur de création de valeur pour le pays ?
Pourra-t-on un jour parler du résultat économique positif d’un hôpital parce que non content d’avoir honoré ses objectifs de service public, il a rayonné localement en proposant des services de bien-être privatisés complémentaires, il a pris en charge des patients étrangers, les a suivi à distance par des technologies modernes, et permis de réaliser des bénéfices substantiels pour la collectivité ? »
En synthèse, les technologies existent, les expérimentations démontrent, il nous reste à partager une vision commune à l’échelle sociétale du modèle sanitaire et médicosocial que nous voulons réinventer avec l’e-santé. C’est aux acteurs de terrains que sont les professionnels de santé, les aidants et bien-sûr les patients à co-construire parfois de façon législative et avec le support des tutelles ou plus simplement en laissant le terrain choisir les conditions de structuration d’un marché qui doit être une filière d’excellence française miroir de notre savoir-faire médical.
Auteur : M Olivier de La Boulaye , Directeur Pôle santé social at ALTRAN
Lien de la plateforme : Sophia : https://www.ameli-sophia.fr/
Projet Prado : VIVOPTIM : https://www.vivoptim.fr/