Bloc opératoire sécurisé, une affaire d’équipe

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PM Mertes président du CFAR, Ségolène Arzalier présidente de la commission SMART du CFAR

Le bloc opératoire est un microcosme sociétal complexe dans lequel divers corps professionnels travaillent ensemble à la prise en charge des patients. Ces diverses professions et spécialités médicales ne partagent pas forcément les mêmes priorités, les mêmes visions, les mêmes valeurs ni les mêmes organisations de travail. Or il est reconnu que le travail en équipe impacte la morbidité et la mortalité des patients (Wheelan 2003).

Le dysfonctionnement du travail d’équipe est identifié comme l’une des causes majeures de la survenue d’évènement indésirables associés aux soins, se manifestant par un défaut d’organisation, de vérification, de coordination ou de communication au sein de l’équipe [Michel P 2011]. De même près de 70 % des événements sentinelles analysés par la Joint Commission font apparaître comme cause racine un problème de communication. Dans plus de la moitié des cas ces défauts de communication sont liés à un défaut de culture et d’organisation : hiérarchie et intimidation, échec de fonctionnement d’équipe, défaut de transmissions (joint commission 2004). Ainsi l’amélioration de la sécurité nécessite de prendre en compte les facteurs humains et organisationnels et implique d’agir sur le travail en équipe.

Améliorer la communication

La littérature s’accorde sur le fait que la communication et le travail d’équipe sont des leviers importants pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. Les défauts de communication constituent une cause majeure des erreurs : 30% des communications seraient défectueuses au bloc opératoire (Lingard 2004). Or la communication ouverte est un marqueur fort d’un climat sécuritaire (Ginsburg 2015) et un facteur clé pour des relations saines et positives de travail au sein de l’équipe (Gotlib 2012; Courtenay M 2013). Les études en médecine ne favorisent pas les contacts interprofessionnels et les opportunités d’apprentissage collaboratif.

Les professionnels de santé n’ont que peu d’occasions de se former à l’amélioration de la communication interpersonnelle et encore moins lorsqu’il s’agit des interactions soignants-soignants (Khera 2001).

La concept de communication est large, il est décrit deux aspects de la communication impactant la qualité des soins : celle orientée sur les tâches de la prise en charge du patient, et celle portant sur les interactions relationnelles entre les membres de l’équipe qui conditionnent la cohésion et la confiance [Marlow 2017]

Des outils existent pour améliorer la communication :

(I) La standardisation de la communication autour de situations prédéfinies : la check list au bloc opératoire, l’utilisation d’aides cognitives lors de situations de crises, l’utilisation d’outils de transmission tels que l’outil « SAED » de l’HAS. Cette standardisation permet de délivrer une information complète et, à l’instar de procédures, de définir ou clarifier les rôles de chacun au sein de l’équipe. Ces outils standardisés doivent être connus et adaptés au fonctionnement de l’équipe qui doit se les approprier pour y adhérer et les utiliser en routine. La mise en place de ces outils peut être l’occasion d’échanges autour du rôle de chacun, du partage ou de la désignation  du leadership selon les situations (Cooper 2018).

(II) La promotion du speaking up. Les défauts de communication peuvent être le fait d’une inhibition à s’exprimer notamment dans un environnement multi professionnel et conflictuel (Okuyama, Wagner, & Bijnen, 2014). La littérature montre que même lorsque la sécurité du patient est en jeu certains membres de l’équipe ont tendance à ne pas s’exprimer ouvertement pour faire part de leurs doutes ou de leurs craintes, de peur de rentrer en conflit ou de mettre mal à l’aise l’un des membres de l’équipe. Ainsi les infirmières sont plus à même d’utiliser l’évitement que la collaboration dans les situations potentiellement conflictuelles (Mahon & Nicotera, 2011) et les médecins ont tendance à ne pas s’exprimer  ouvertement lorsqu’ils perçoivent un risque pour le patient même important (Lyndon et al., 2012). Or il est montré que s’exprimer ouvertement permet d’améliorer la sécurité des soins. Certains auteurs proposent une échelle d’évaluation de la culture de la communication autour de la sécurité des patients et des comportements en équipe (Martinez 2015). Changer les comportements et créer un climat favorisant la communication ouverte est un challenge pour le management et les professionnels (Gisburg 2015).

Gérer les conflits

Le bloc opératoire constitue un environnement complexe et fermé au sein duquel interviennent de nombreuses catégories professionnelles autour de la prise en charge d’un patient. Dans cet environnement à forte pression les conflits interpersonnels peuvent émerger du fait de multiples facteurs : stress, fatigue, différences d’informations, de valeurs, d’expérience, de rôles, d’intérêts ou d’objectifs [Katz 2007]. Les conflits ont un impact sur la performance d’équipe (De Kreu  2003) et impactent la qualité des soins (Rosenstein 2006).

Ainsi il est montré que la présence de comportements perturbateurs dans une équipe de bloc opératoire est plus prédictif du risque de complications et de mortalité que le score ASA du patient (Mazzocco 2009). Ces comportements perturbateurs impactent la qualité des soins en faussant la communication et en sapant le travail d’équipe et la prise de décisions. Ils impactent aussi directement les soignants exposés et les étudiants dans le choix futur de spécialité (Villanfranca 2018).

Les communications interpersonnelles jouent un rôle essentiel dans la tournure que prennent les évènements conflictuels. En ayant conscience du comportement à adopter et des outils à utiliser pour prévenir et résoudre les conflits, chacun contribue à maintenir une relation de travail saine et forte qui est une composante majeure de la qualité des soins portés au patient et du bien-être au travail. La commission SMART du CFAR a lancé la campagne 1Patient1Equipe pour promouvoir le respect de chacun et propose des outils d’aide à la prévention, la résolution et l’analyse des conflits (www.cfar.org).

Le bien-être des soignants

La souffrance au travail des soignants a un impact sur la sécurité des soins (salyers 2017, de Oliveira Anesth Analg  2013). Non seulement le burnout augmente le risque d’erreur médicale (Van der Linden 2005, shanafelt 2010) mais aussi l’épuisement émotionnel est associé à l’émergence de conflits et aux attitudes non professionnelles (Doppia2011, Lee 2013a) (Dyrbye 2010). La qualité du travail en équipe (soutien de l’équipe, circulation de l’information, possibilités de discussion) est un facteur plus déterminant de l’épuisement que la charge de travail (Doppia 2011). Le collectif de travail et la cohésion d’équipe sont  des éléments reconnus de protection contre les troubles dits psycho-sociaux et constituent une barrière contre la dégradation des conditions de travail et des soins portés aux patients (Doppia 2011). Le maintien de la cohésion d’équipe nécessite une meilleure prise en compte des différences et des efforts réalisés pour les dépasser (Cooper 2018).

Maintenir La cohésion

Le travail d’équipe, en répondant de manière collaborative et interdisciplinaire aux besoins du patient, constitue une barrière de sécurité contre les événements indésirables et est un facteur de qualité de la prise en charge du patient. Il est un facteur de santé et de bien-être au travail pour les professionnels (Baxter 2008). Développer des collectifs de travail, c’est contribuer à améliorer la communication entre professionnels, renforcer la dynamique d’équipe, centrer la démarche sur les attentes du patient et de son entourage. Les équipes efficaces ont un objectif commun partagé, des rôles et des responsabilités clairement établis, partagent les informations, ont une conscience partagée des situations, s’entraident et se font confiance.

Le travail d’équipe est une nécessité liée à la complexité des organisations et des prises en charge qui impliquent une interdépendance des professionnels entre eux. Comme il est montré que l’absence de travail d’équipe altère la sécurité des soins, il est aussi montré que l’amélioration du travail en équipe est efficace pour améliorer la prise en charge des patients (Salas 2008). Il existe des outils pour améliorer la coopération au bloc opératoire et dans les équipes :

(i) La solution pour la sécurité du patient « coopération entre anesthésistes réanimateurs et chirurgiens » proposé par l’HAS dans un travail collaboratif permet, autour d’une réflexion collective, de définir le rôle de chacun et les interactions dans le péri-opératoire.

(ii) L’accréditation en équipe proposés par les organismes d’accréditation dont le CFAR.

(iii) Le programme d’amélioration continu du travail en équipe proposé par l’HAS (PACTE) permet de promouvoir la cohésion autour d’objectifs et de projets communs. Cela nécessite du temps et des lieux d’échanges formels et informels d’élaboration de travail en équipe et de réflexion sur les organisations.

(iv) Les réunions telles que les RMM contribuent à l’optimisation des relations en offrant des espaces de délibération sur la construction du travail et ses conséquences.

Conclusion

L’impact sur la sécurité d’un climat favorisant la communication, la perception du rôle de chacun et la prise en compte des différents modèles cognitifs est établi (Lingard). Malheureusement les relations efficaces et les exemples de travail vertueux sont peu décrits (Cooper 2018). Cela reste un défi pour le management qui, lorsqu’il est centré sur les tâches et les objectifs à atteindre est moins efficace sur la performance d’équipe que celui centré sur les besoins de l’équipe : mission collective, optimisme, stimulation intellectuelle, considération des besoins et des capacités individuelles (Hu 2016).

Le contexte actuel de perte de sens, de morcellement des tâches et de mutualisation des ressources humaines conforte toute la difficulté à travailler en équipe. Et pourtant cela en renforce le besoin, pour une meilleure reconnaissance des compétences et du travail réalisé, un sentiment d’appar­tenance et de satisfaction au travail, une amélioration de la qualité de vie au travail, une confiance renforcée et une collabora­tion efficace. Dans un seul but : la prise en charge la meilleure possible pour les patients qui nous sont confiés.

 

Bibliographie

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