Détenir un coffre-fort numérique dans le domaine de la santé. Un chantier technico-juridique titanesque, devenu pourtant réalité depuis le premier trimestre 2022. Par une volonté politique sans faille, et grâce à l’étroite coopération entre tous les acteurs de cet écosystème, les patients bénéficient aujourd’hui d’un carnet de santé numérique, fluide et sécurisé, à partir duquel toutes les données et applications sont appelées à graviter. Retour sur cette initiative, pour comprendre Mon espace santé, connaître les grands acteurs de sa mise en place et ses apports au quotidien.
UNE RÉVOLUTION FRANÇAISE ET NUMÉRIQUE EN SANTÉ
Au commencement était la donnée, hétérogène, éparpillée, éclatée. Voici l’incipit – presque biblique – avec lequel nous pourrions qualifier l’état récent résultant de plusieurs dizaines d’années d’accumulation et de stockage de la donnée en France, dans le domaine hospitalier. Malgré des tentatives telles que les DPI et DMP – finalement voués à rester attachés à leur établissement ou GHT-, les pouvoirs publics n’avaient jusqu’ici jamais véritablement réussi à bâtir une plateforme capable d’aspirer les données et de relier les applications sur l’ensemble du territoire. La loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) prévoit la mise en place pour chaque usager, d’un Espace Numérique de Santé ou ENS (renommé Mon espace santé) lui donnant accès à ses données et services numériques de santé en posant le principe d’une ouverture automatique. « L’objectif premier de Mon espace santé, précise Laura Létourneau, déléguée ministérielle au numérique en santé, est de permettre aux citoyens de récupérer systématiquement leurs données de santé. Ces données pourront ensuite être consultées par leurs professionnels de santé, en ville ou à l’hôpital, avec l’ accord des patients ».
Un tour de force permettant, comme le souligne Emmanuel Canes, directeur du développement santé pour l’Europe du sud chez Dell Technologies, de « normer des connecteurs entre les différents systèmes d’informations hospitaliers, à un moment où chaque établissement peut comptabiliser jusqu’à 400 voire 600 applications. »
Qu’est-ce, alors, précisément que cette plateforme révolutionnaire ? Emmanuel Canes la définit ainsi : « Il s’agit en réalité d’un repository, autrement dit d’un espace de stockage de données hétérogènes, dotées de connecteurs capables de les consolider et de les siloter. Les données sont aspirées, pour constituer un carnet de santé personnel et numérique, que le médecin peut partager en quelques clics avec l’accord du patient ». Et de préciser : « dans un premier temps, l’objectif était d’enrichir l’espace avec les informations essentielles du citoyen ». En effet se trouvent aujourd’hui rassemblées des informations présentes dans les établissements de santé mais aussi de la CNAM.
Or, Mon espace santé ne fait pas doublon avec les DPI et DMP. Il est « une brique centrale, revue, pour mieux structurer les données stockées, pour une plus grande interopérabilité, notamment grâce à l’INS (Identité Nationale de Santé) et une meilleure catégorisation des données du côté de l’usager patient. Tous les efforts de déploiement des logiciels DMP compatibles en ville et à l’hôpital, considérablement accéléré par le Ségur, vont faire du DMP une brique de stockage et de partage sécurisé des données de santé en France », explique Laura Létourneau.
ATOS, DELL TECHNOLOGIES ET L’ETAT, L’ALLIANCE INDÉPENDANCE-EXPERTISE-PERFORMANCE
Autre singularité de cet espace, l’indépendance en termes de stockage de la donnée. Pour Laura Létourneau, « l’origine même du service s’appuie sur le besoin d’avoir une plateforme nationale et souveraine de gestion des données de santé pour éviter que des acteurs privés, notamment non européens, ne s’installent et gèrent les données de santé des Français à leur guise. Dès le début, il était évident pour nous qu’un tel projet devait être porté par le service public ».
Cette indépendance s’affirme aussi par le choix d’entreprises françaises, comme Atos et Dell « où des hackers bienveillants et rémunérés cherchent des failles dans le système pour nous permettre de les corriger. Enfin, l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information) accompagne et suit le projet depuis son lancement » rappelle Laura Létourneau. Un sujet clé placé entre les mains d’« Atos, spécialisé au départ dans la cyberdéfense, et de Dell Technologies, dont le matériel dispose d’IA capable de gérer la sécurité de la plateforme », précise Emmanuel Canes.
Atos et Dell Technologies, complémentaires, apportent donc une véritable garantie de performance. Le premier en tant qu’intégrateur, développeur et hébergeur ; le second sur la performance et la résilience de la plateforme. Emmanuel Canes souligne toutefois qu’une grande partie du travail repose sur les éditeurs.
En effet, l’une des conditions de cette performance est l’interopérabilité. Comme le précise la déléguée ministérielle au numérique en santé : « les éditeurs de logiciels en santé sont un maillon essentiel de la chaîne pour déployer des solutions interopérables, conformes à la doctrine technique (intégrant l’INS, la MSS, le DMP, Pro Santé Connect, respectant les normes de sécurité, le CI-SIS…). Avec le volet numérique du Ségur de la santé, l’Etat a mis en oeuvre un dispositif exceptionnel pour financer la mise à jour des logiciels des professionnels de santé. A l’hôpital, en ville, en biologie, en radiologie, dans le secteur médico-social et dans les officines, les professionnels pourront bénéficier de la montée de la version gratuite de leur logiciel pour que ces derniers soient plus sécurisés et qu’ils soient conformes ». « le maître mot de cette plateforme est de donner la main aux citoyens pour gérer leurs données de santé. Pour cela, l’interopérabilité entre les logiciels et Mon espace santé est nécessaire, afin que les professionnels puissent alimenter Mon espace santé et le consulter avec l’accord du patient ».
MON ESPACES SANTÉ : QUELLES APPLICATIONS, QUELLES PERSPECTIVES ?
Outre la prise en considération de la montée en charge des données, que propose la plateforme et quelles améliorations peut-on attendre ? Dans un premier temps, l’alimentation se concentre autour de l’historique des remboursements, des certificats Covid, et s’effectue à l’initiative des patients.
Avec Mon espace santé, les hôpitaux bénéficieront de la messagerie sécurisée dédiée pour échanger avec les patients en amont et en aval du séjour. De même, la plateforme aura vocation à renforcer le lien ville-hôpital, comme l’explique Laura Létourneau : « avec à la mise à jour de leur logiciel, financée par l’Etat grâce au Ségur numérique, leur pratique quotidienne sera facilitée. Envoi par défaut vers le DMP du patient géré directement par le logiciel grâce à l’INS, aide à l’élaboration du volet de synthèse médicale pour les médecins traitants, meilleure articulation avec leur logiciel de messagerie sécurisée de santé, sécurisation de leurs prescriptions de médicaments et de dispositifs médicaux grâce à la ePrescription unifiée, ou encore intégration directe dans leur logiciel des résultats de biologie médicale ».
Que donne Mon espace santé une fois appliqué ? Jan-Cédric Hansen, gériatre, médecin coordinateur et membre du groupe DGOS sur l’éthique et la e-santé, nous a confié son retour d’expérience : « il est intéressant d’avoir accès à un dossier médical le plus complet possible. Surtout en gériatrie, qui est une science de la polypathologie. On doit pouvoir savoir de quoi souffrait le patient, il y a 10, 15, 20 ans. Il est par ailleurs bienvenu de pouvoir optimiser le dialogue et les échanges. En tant que gériatre, je côtoie plusieurs acteurs avec différentes connaissances. En externalisant le système métier, en le partageant entre le public, le privé, les hospitaliers, l’associatif, nous gagnons du temps et évitons des risques ».
Une note positive et remplie d’espoir, avec néanmoins quelques attentes pour l’avenir de la plateforme. Pour Jan-Cédric Hansen, deux points suscitent son intérêt : la source de l’information et la transformation des données en information. Pour lui, en gériatrie, « le niveau d’acculturation, de compétences et de littératie de patients ayant possiblement des troubles cognitifs, peuvent conduire à des difficultés pour mettre à jour leurs données. Dans mon domaine, cette logique peut être excluante pour une partie des patients. A cela s’ajoute le manque, aujourd’hui, d’un moteur de recherche contextuel et textuel. Un patient souffrant d’une maladie chronique – voire de plusieurs en même temps – possède un dossier de milliers de pages. Il nous est alors impossible de toutes les feuilleter. Nous avons besoin, pour le futur de la plateforme, de pouvoir trouver le signal faible et signifiant dans un bruit colossal », résume-t-il.
Finalement, cette démonstration de force qu’est Mon espace santé poursuit un premier objectif : celui de permettre aux citoyens d’être maître de leurs données de santé. Il enrichit leur carnet à leur initiative et permet, avec leur accord, aux professionnels de le consulter. Tout en renforçant nécessairement le parcours de soin, il contribue, par ses caractéristiques et ses acteurs, à transformer la santé en France. Des débuts prometteurs, donc, pour ce carnet de santé numérique, qui devra dans les mois et les années à venir continuer de faire ses preuves et de s’améliorer, pour devenir un outil quotidien des patients, à l’instar de son ancêtre de papier.
Steve Serafino
Article Jansen