Regards cindyniques sur la vulnérabilité du soin engendré par la e-santé
En tout état de cause, le secteur de la santé connaît une digitalisation massive de ses activités, tant pour les soins personnels que pour les services fournis par et pour les professionnels de santé. Ce phénomène affecte à la fois la nature et la disponibilité des services, l’accès à l’information, l’interaction des patients avec les services de santé et la manière dont les informations sont partagées entre toutes les parties prenantes.
L’enquête européenne sur la e-santé réalisée en 2019 portant sur 35 experts de la santé et 1200 européens révèle une grande disparité parmi les pays étudiés. On peut citer comme exemples la Norvège, modèle de pays e-santé, l’Estonie, pays du tout numérique appliqué à la e-santé, la France dont le développement de la e-santé est limité par le poids des mentalités et de la régulation, le Royaume-Uni où la transformation vers la e-santé est sous tension ou encore l’Allemagne, qui connait une transformation tardive vers la e-santé.
Si cette tendance devrait apporter de nombreux avantages tels qu’une efficacité accrue des systèmes de santé, des économies pour les financeurs et les tiers payeurs, et offrir une participation optimisée des patients à la co-construction de leur parcours de santé (médecine prédictive, préventive, curative, palliative, de fin de vie), elle apporte aussi son lot de vulnérabilités propres qui sont autant d’endommagements potentiels pour chacune des parties prenantes.
L’enjeu à ne pas manquer est celui de l’identification de ces vulnérabilités, seule à même de permettre la définition d’un référentiel qualité, efficient.
Or, compte tenu de la multitude des concepts, des paramètres, des acteurs, des outils et des données à intégrer dans l’analyse des risques, les approches classiques de type AMDEC, APR, HAZOP, arbre des causes… ne permettent pas de converger aisément vers des Organisations de Haute Fiabilité (High Reliability Organizations – HRO).
Cinq dimensions pour l’identification de la vulnérabilité
La vulnérabilité au sens cindynique représente la propension d’un organisme à être exposé aux attaques physiques, organisationnelles ou psychiques et à en subir un endommagement secondaire à sa fragilité intrinsèque. L’approche cindynique offre un autre outil conceptuel d’identification de la vulnérabilité à travers un espace à cinq dimensions, explorant l’enchaînement de la série de causes et de faits à l’oeuvre dans la genèse et l’exécution d’un soin. Ces cinq dimensions sont représentées par :
- Un axe épistémique : axe de l’analyse empirique des postulats, conclusions et méthodes.
- Un axe axiologique : axe de l’analyse séméiologique des valeurs philosophiques, esthétiques ou morales.
- Un axe statistique : axe de l’analyse de l’interrelation entre les phénomènes “microscopiques” et “macroscopiques”.
- Un axe déontologique : axe de l’analyse sociologique des règles ou principes de conduite, moeurs, coutumes, traditions et habitudes de vie, individuels ou collectifs.
- Un axe téléologique : axe de l’analyse systémique des finalités implicites ou explicites, partagées ou non par les parties prenantes.
L’exploration de ces axes ainsi que leur quantification est possible: à l’aide de l’analyse documentaire, de l’observation des pratiques, d’interviews directifs ou semi-directifs, individuels ou en groupe, au niveau global, individuel, interindividuel et organisationnel.
Innovations de la e-santé au profit du soin
Au terme de cette analyse, les cindyniques permettent d’identifier des déficits cindynogènes « Systémiques », « Individuels », « Dissonances » (interindividuels), « Organisationnels » dont la prise de conscience par les parties prenantes, permet d’apporter des réponses partagées.
À titre d’exemple, la pandémie COVID a entraîné, du fait du confinement et des mesures de distanciation sociale, un recours massif à la e-santé concomitamment à un développement et un recours à des solutions exemptes de toutes les contraintes préalables habituelles.
En raison du sentiment partagé « d’urgence à agir » on s’est dispensé, pour les solutions/innovations adoptées :
- De qualifier le statut (dispositif médical ? commercial ? autre ?) ;
- De caractériser l’adéquation avec le besoin (ressenti ? supposé ? mesuré ? autre ?)
- D’évaluer la qualité du service médical rendu (majeure ?importante ? modérée ? autre ?)
- De déterminer la fiabilité (marquage CE ? étude clinique ? étude post marketing ? autres ?)
- De vérifier la conformité au RGPD (identitovigilance ? sécurité des données transmises ? stockées ? autres ?)
- De s’assurer de la pérennité économique (gratuité ? remboursement ? autre ?) ou technique (interopérabilité ? compatibilité ? autre ?)
- De respecter les règles de passation de marchés (publics, partenariats, autres dérogations réglementaires, etc.)
Les solutions/innovations en e-santé se sont donc installées dans notre paysage sans faire la différence entre perception, intuition, initiative, pérennité, … donc sans évaluation raisonnée de leur vulnérabilité. Il apparait pourtant nécessaire, de maintenir le cap de la e-santé mais, en remettant la qualité et la sécurité des soins au coeur du développement des solutions/innovations.
Et cela dans un contexte où, l’HAS souhaite investir la e-santé pour pouvoir, justement, certifier les solutions/innovations en vue d’assurer leur pérennité et la régulation pertinente du marché.
Cet objectif étant fixé, comment garantir l’analyse la plus exhaustive possible de la vulnérabilité qui s’est installée ? C’est là où les outils issus des Cindyniques, comme les cinq axes et leurs cinq qualificateurs, apportent une solution adéquate.
En effet, il importe d’explorer la congruence et l’interaction/ influence réciproque des solutions/innovations avec les organisations/ pratiques des parties prenantes. Il s’agit donc bien de mettre en lumière si les postulats ayant conduit à une solution/ innovation donnée sont bien partagés et intégrés au niveau global, individuel, interindividuel et organisationnel.
En termes cindyniques cela correspond à explorer l’adéquation avec le besoin et sa finalité sur l’axe téléologique, par exemple. Dans la même logique cindynique, la conformité au RGPD comme les règles de passation de marchés, relèvent de l’axe déontologique, et ainsi de suite. Il reste à effectuer cette exploration nécessaire au sein d’un groupe pluridisciplinaire porté par le Conseil de la e-Santé, la SOFGRES, l’IMDR, l’HAS, et des représentants des autres parties prenantes, par exemple.