L’art de soigner sa e-réputation

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Le médecin libéral face aux enjeux des sites de notation et des faux avis

Olivier LECA
Olivier LECA – Avocat associé – LBA aarpi – Crédit photo : DR

Les médecins ont pris acte depuis quelques décennies de la transformation profonde de leur exercice, initiée notamment par l’élan démocratique porté par la loi du 4 mars 20021.

Le métier connait de profonds bouleversements à plusieurs niveaux, lesquels sont actuellement décuplés par la révolution digitale de notre société civile.

D’un côté, la médecine est devenue l’affaire de tous, reléguant le professionnel au rang de prestataire de services, dans un climat où la défiance et le soupçon laissent de plus en plus place au rapport de confiance(2).

De l’autre côté, la société ne tolère plus l’aléa inhérent à l’art médical et le fait savoir, tantôt par l’action judiciaire, toujours concernée par la hausse(3), tantôt par l’expression publique sous diverses formes.

Dans ce dernier cas, les médecins doivent accepter de relever le défi, continuer à s’acquitter des obligations qui sont les leurs, tout en prenant conscience de la nécessité de sécuriser leur exercice face aux atteintes diverses à leur réputation, notamment sur Internet(4).

Les enjeux de la e-réputation

Si depuis toujours la réputation des médecins s’est construite autour des avis de leurs patients, il est incontestable que les professionnels de santé sont de plus en plus visés par des critiques sur Internet, souvent anonymes.

Une fois publiées, elles nuisent à la réputation ou freinent le développement de la patientèle.

Ce fléau lié à l’anonymat sur Internet conduit le débat public et la presse générale à s’interroger sur la suppression pure et simple de cet anonymat ; idée initiée par le Président de la République lui-même, qui, lors d’un discours du 18 janvier 2019 avait expliqué vouloir « remettre de l’ordre dans le world wide web », en allant « vers une levée progressive de toute forme d’anonymat ».

Le sujet est donc d’une actualité sensible, à tel point qu’une Loi, dite consacrée à la lutte contre la haine sur internet, vient d’être votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 juillet dernier(5).

La Loi ne devrait cependant concerner que les propos incitant à la haine ou à la discrimination, sans venir remettre en cause le dispositif actuel du droit de la presse, notamment celui de la diffamation.

Dans le droit actuel, lorsqu’il est question de réputation d’un côté, il est question de liberté d’expression de l’autre, laquelle doit rester le principe d’une liberté fondamentale(6).

La e-réputation n’est que la transposition du paradigme dans l’espace digital.

Le patient, ou parfois même son entourage, peut très facilement exprimer sur Internet, sans retenu, son opinion sur son soignant. La « libre parole » est facilitée et amplifiée par l’utilisation de pseudonyme derrière lequel le patient peut se dissimuler. La nature des commentaires et les espaces de publication sont nombreux et variés.

Il peut s’agir d’appréciations souvent très subjectives et passionnées portant sur la personnalité du professionnel de santé, le déroulement de la consultation, les compétences du professionnel de santé.

Parfois, le patient et/ou l’internaute rapporte ou décrit des faits susceptibles de mettre en cause la responsabilité civile professionnelle du soignant, un comportement contraire à l’éthique médicale, de graves accusations relevant d’infractions pénales.

Le principe de liberté est tel que de plus en plus de sites Internet proposent un espace contributif dans lequel l’internaute peut publier son avis sur le professionnel qu’il a sollicité : Ebay ; Pages Jaunes ; Google map…

Le secteur médical a connu d’ailleurs ses sites spécifiques comme notetondoc.com ; quimesoigne.com ;  hospitalidee.fr… sans heureusement que leur commerce ne prospère.

Il peut s’agir enfin de commentaires postés sur le compte d’un réseau social : Facebook, Twitter…

Si l’exercice est dématérialisé, la problématique est, elle, ancrée dans le réel.

Malheureusement, supprimer un contenu critique s’avère très souvent laborieux malgré l’existence de dispositions légales protectrices.

Le Conseil National de l’Ordre des Médecins a édité un Guide pratique qui saura aiguiller les médecins utilement(7)  pour une prise de conscience de la nécessité de sécuriser cette partie de l’exercice professionnel.

  1. La sécurisation de votre e-réputation
  2. La surveillance des profils et fiches professionnels

Le premier exercice est celui de surveiller sa propre réputation sur Internet en s’informant régulièrement de l’existence ou non de commentaires négatifs attachés à l’identité du praticien.

A ce stade, avant même l’apparition des avis, il est possible pour le praticien de couper court à toute possibilité de commentaires, en demandant, sous l’angle de la protection données personnelles, son déréférencement comme le prévoit la loi du 6 janvier 1978(8). En effet, si apparaître sur Internet paraît incontournable aujourd’hui pour l’exercice pratique de la médecine, cette disposition générale permettant la suppression des données personnelles en général et des « Fiches professionnelles » en particulier, reste utile notamment en ce qui concerne les sites de notation peu sérieux, déjà évoqués, qui polluent l’exercice.

Le marché fourmille de professionnels spécialistes revendiqués, des « agences de la e-réputation » qui proposent des services de surveillance. Il est ici plutôt recommandé, pour faire le tri, d’évoquer la question avec l’assureur responsabilité civile et de discuter de l’intégration de cette problématique dans la police responsabilité civile professionnelle ou protection juridique.

  1. L’appréciation des publications, et la confrontation à la liberté d’expression
  2. Le deuxième exercice est celui de l’appréciation des propos découverts et d’opérer la distinction entre l’expression libre d’un avis, et l’expression répréhensible, qui permettra leur poursuite, leur suppression, et la sanction des auteurs.

Pour illustrer la complexité de cet exercice, il est possible d’évoquer une décision de la Cour d’appel d’Aix en Provence(9) qui a infirmé récemment une décision du Juge des référé du Tribunal de Grande Instance de Marseille, qui avait pourtant condamné la société GOOGLE à déréférencer un lien internet vers un blog au motif que celui-ci contenait des propos négatifs sur la compétence professionnelle d’un gynécologue obstétricien.

La Cour d’appel d’Aix estime, elle, que : « Le caractère ancien de cet avis ne saurait à lui seul emporter un droit à l’oubli au regard de la finalité du traitement qui est celle de l’information du public, lequel doit pouvoir disposer de la diversité des avis émis sur les compétences professionnelles d’une personne, qu’ils soient favorables ou défavorables, anciens ou récents.

Enfin, l’appréciation d’incompétence portée sur les qualités professionnelles du A X-C, bien que désobligeante, ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression. »

Il est vrai que les propos n’étaient pas l’illustration même de ce qu’il est possible de constater aujourd’hui dans ce grand bain de liberté qu’est internet, mais cette décision reste une illustration de la véritable difficulté qu’ont les médecins à combattre efficacement les atteintes à leur réputation sur le média Internet.

  • Une poursuite systématique des propos dénigrants, diffamants et insultants

Pour ce qui est des propos ouvertement, dénigrants, insultants ou diffamants, la réponse est de mise, et elle pourrait être judiciaire.

Les faux avis négatifs sont susceptibles de relever de la qualification de diffamation comme le définit l’article 29 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, le cas échéant de l’injure, comme le définit à l’alinéa 2 du même article(10), ou encore, plus exceptionnellement du régime civil du dénigrement, tiré de la jurisprudence.

Le droit spécifique de la presse : la diffamation et l’injure

La diffamation et l’injure relèvent du régime spécifique du droit de la presse, avec pour contrainte essentielle de connaitre un délai de prescription de l’action extrêmement court, de 3 mois à compter de la première publication(11). Il convient d’intervenir très rapidement en faisant réaliser un constat d’huissier et en déposant une plainte pénale contre X, si l’auteur se cache derrière un pseudonyme, ou une citation directe si l’auteur est moins prudent, avec constitution de partie civile, directement auprès du Doyen des Juges d’instruction.

Cependant, cette procédure pénale souffre de sa complexité, puisque les moyens d’irrecevabilité et de nullité sont nombreux ; de son coût puisque les Juges d’instruction assomment la partie civile d’une demande de consignation très élevée ; et surtout de la longueur de l’instruction, pendant laquelle les propos visés restent à la portée des internautes.

Une action civile en référé peut pallier cette insatisfaction et permettre d’agir rapidement afin d’obtenir le retrait des avis contenant des propos répréhensibles et la communication des adresses IP des auteurs des avis illicites(12).

Le dénigrement

Le dénigrement relève du régime juridique tiré de la jurisprudence issue de l’article générique régissant la responsabilité civile délictuelle, 1382, devenu 1240 du Code civil, et est donc détaché de toute notion pénale et de droit de la pesse, ce qui permet de le dégager de son régime de prescription très strict.

Cependant, en principe les Juges excluent l’application de l’article 1382 du Code civil aux actions en réparation des abus de la liberté d’expression sur Internet, au motif qu’il existe des textes spécifiques applicables contenus dans la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse(13).

Toute qualification de diffamation ou d’injure exclu a priori l’application du régime du dénigrement(14), en termes de responsabilité civile et de régime de réparation.

Cependant, au stade du référé civil, les dispositions propres au dénigrement peuvent permettent, lorsque l’on recherche la responsabilité de l’hébergeur, d’obtenir le qualificatif de « propos illicites » visés par l’article 6 de la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique(15).

L’action dirigée contre l’hébergeur, au visa de l’article 6 de la loi LCEN

Au moment d’agir en justice, se pose la difficulté de savoir contre qui agir, puisque, à moins d’être mauvais stratège, l’auteur restera anonyme, caché derrière un identifiant ou un pseudonyme spécialement utilisé pour sa rédaction.

L’article 6 de la loi du 24 juin 2004, dite Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique (LCEN)(16) prévoit un dispositif spécifique qui permet de contraindre, non plus l’auteur, mais l’hébergeur des propos publiés.

Sur ce point GOOGLE est pourvoyeur de jurisprudences. En effet, si dans le cas d’espèce évoqué par la Cour d’appel d’Aix en Provence(17), le blog était bien hébergé par GOOGLE, les cas les plus explicites restent ceux des avis GOOGLE attachés à Google Map ou aux fiches Google my Business.

Une telle action contre l’hébergeur n’est cependant pas sans conditions, notamment celle extrêmement rigoureuse de faire délivrer une mise en demeure préalable conforme aux conditions de l’article 6.I.2 de la Loi LCEN.

Cet article prévoit que le site internet hébergeur de contenus doit agir promptement pour retirer toutes données illicites ou en rendre l’accès impossible dès qu’il en a connaissance.

Une fois informé du contenu potentiellement illicite et mis en demeure de le retirer, l’hébergeur qui ne s’exécute pas, peut voir sa responsabilité engagée au même titre que l’auteur des propos.

Concernant la suppression, il est possible de demander au Juge des référés, au visa de l’article 809 du code de procédure civile(18), qu’il ordonne la suppression des propos compte tenu du « trouble manifestement illicite » qu’ils génèrent à l’égard de la personne visée(19).

Cette possibilité de contourner le droit de la presse et sa prescription sévère, n’empêche pas la réalité de la problématique qui est celle de la confrontation des propos jugés illicites par le médecin avec le principe de la liberté d’expression.

L’avis des patients ne peut être systématiquement positif, et la critique négative reste à envisager(20, 21).

Concernant la communication des adresses IP, il est possible de demander au Juge des référés, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, de contraindre l’hébergeur à révéler les identités qui se cachent derrière les comptes, identifiants ou pseudonymes à l’origine de la publication litigieuse(22).

L’efficacité de ces procédures reste cependant intimement liée à la caractérisation de propos jugés illicites par le Juge des référés, ce qui n’était pas le cas dans la récente affaire tranchée par le Tribunal de Grande Instance de Metz du 16 juillet 2019(23).

GOOGLE avait soulevé la liberté d’expression… et l’intérêt légitime d’information du consommateur, de quoi confirmer, s’il était besoin, l’entrée du médecin dans la grande profession des prestataires de services.

 

  1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dont le Titre II s’intitule « Démocratie sanitaire »
  2. Newsletter BRANCHET n°56 : « 36% des français jugent la relation médicale mauvaise, ce chiffre montant à 44% chez les plus jeunes. Ces données sont d’autant plus préoccupantes que les médecins semblent ne pas avoir conscience de cet état de fait, puisqu’ils considèrent la relation bonne à 92%. »
  3. RC Médicale : sinistralité en hausse pour la MACSF en 2017 : https://www.argusdelassurance.com/les-assureurs/mutuelles/rc-medicale-sinistralite-en-hausse-pour-la-macsf-en-2017.135554
  4. Notamment : Le Monde en ligne article du 11 février 2019 : 3 questions sur l’anonymat et le pseudonymat sur Internet
  5. http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/lutte_contre_haine_internet
  6. Art. 10 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Art. 19 Déclaration universelle des droits de l’homme ; Art. 10 et 11 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
  7. https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/cnom_guide_pratique_e-reputation.pdf.
  8. Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés
  9. Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 24 janvier 2019, n° 17/20987
  10. Article 29 de la loi du 29 juillet 1889 : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.

Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

  1. Article 65 de la loi du 29 juillet 1889 : « L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait. »
  2. Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 7 février 2017, n° 17/50075
  3. Cour de cassation, Première chambre civile, 27 septembre 2005, 04-12.148
  4. Cour de cassation, Deuxième chambre civile, 18 février 2010, 09-65.351
  5. Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique du 24 juin 2004 nº 2004-575
  6. Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique du 24 juin 2004 nº 2004-575
  7. Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 24 janvier 2019, n° 17/20987
  8. Article 809 du code de procédure civile : « Le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. »
  9. Tribunal de grande instance de Paris, 29 juin 2018, n° 18/51423
  10. Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 24 janvier 2019, n° 17/20987
  11. Tribunal de grande instance de Paris, 29 juin 2018, n° 18/51423
  12. Tribunal de grande instance de Paris, Référés, 7 février 2017, n° 17/50075
  13. Article du Monde en ligne – 17 juillet 2019 : « Un psychiatre perdant face à Google

Un médecin réclamait devant le tribunal de grande instance de Metz la suppression de sa page Google et de trois commentaires. Le 16 juillet dernier, la justice a donné raison à la multinationale américaine. »

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/07/22/un-psychiatre-perdant-face-a-google_5492188_4500055.html

 

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