Dr P. Simon Past-président de la Société Française de Télémédecine
Les Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (Ehpad) sont les structures qui regroupent environ 800 000 français dont l’âge moyen est de 85 ans et qui cumulent en moyenne 8 maladies chroniques. La moitié des résidents d’Ehpads est hospitalisée chaque année, avec une durée moyenne de séjour de 13 jours. Lorsque le résident rejoint son établissement, il est souvent plus handicapé et donc plus dépendant que lorsqu’il est arrivé à l’hôpital. Les hospitalisations aggravent les patients en état de dépendance.
Paradoxalement, cette population française, la plus malade, est la moins suivie sur le plan médical. L ’Ehpad étant un substitut du domicile, chaque résident conserve le médecin traitant qu’il avait auparavant ou doit en retrouver un nouveau lorsque l ’Ehpad est trop éloigné du précédent domicile.
Les établissements médico-sociaux font partie du plan stratégique prioritaire de développement de la télémédecine en France, arrêté en Conseil des ministres du 9 juin 2011. Sans financement des pratiques de télémédecine en secteur libéral, cette priorité stratégique a tardé à se mettre en place. C’est en mars 2017 que les syndicats des médecins libéraux et l’Assurance maladie ont signé l’avenant 3 à la Convention médicale de 2016 pour créer des actes de télémédecine remboursés dans le droit commun de la Sécurité sociale, spécialement dévolus au suivi des résidents d’Ehpad.
Le formidable enjeu de la télémédecine en Ehpad
L’enquête réalisée par l’Assurance maladie en 2016 a montré qu’il n’est pas simple de trouver un médecin traitant pour chaque résident d’Ehpad, surtout lorsque l’admission de la personne se fait dans un établissement très éloigné de son lieu de résidence habituel. Il y a alors un abandon obligé du médecin traitant habituel et la recherche d’un nouveau médecin traitant par l ‘Ehpad pour ce nouveau résident. Certains médecins qui interviennent déjà dans l ‘Ehpad, surchargés de travail, refusent d’augmenter leur patientèle d’Ehpad, d’autant qu’ils ne connaissent pas toujours l’histoire médicale et thérapeutique de cette personne âgée dépendante, souvent très handicapée. Et le médecin coordonnateur de l ‘Ehpad ne peut être le médecin traitant de tous les résidents, même si le décret du 30 décembre 2010 l’autorise à participer aux soins lorsque le médecin traitant est indisponible. Les médecins traitants ont de plus en plus de difficultés à se déplacer physiquement dans l ‘Ehpad et ils donnent souvent la consigne au personnel soignant de ne les solliciter “qu’en cas d’urgences”. Mais lorsque la situation est urgente, le résident de l ‘Ehpad est adressé aux urgences de l’hôpital le plus proche, après un appel au Centre 15, et parfois réadressé dans son établissement quelques heures plus tard.
L’avenant 3 de mars 2017 propose que l’ancien médecin traitant puisse aider le nouveau médecin traitant à prendre en charge ce nouveau résident d’Ehpad. Il s’agit d’actes de téléexpertise entre l’ancien médecin traitant et le nouveau médecin traitant du résident d’Ehpad afin d’assurer la continuité des soins, en particulier pour le recours aux prescriptions de psychotropes ou l’identification de situations à risque. Cet acte identifié en CCAM ” TDT ” (Téléexpertise Dossier Traitant) est valorisé à 15 euros facturables par le nouveau médecin traitant et l’ancien. Plus de 80 000 patients sont concernés par la téléexpertise. Cet avenant propose également la réalisation de téléconsultations avec les patients résidant en Ehpad. Il s’agit d’actes de téléconsultation pour éviter des déplacements délicats ou des hospitalisations inutiles, grâce à la réalisation de ces actes entre le médecin traitant et le patient-résident de l’EHPAD, notamment pour éviter le déplacement du SAMU centre 15 devant l’apparition d’une aggravation soudaine de ce patient. L’acte est réalisé avec l’aide du professionnel de santé de l’EHPAD. Cet acte en CCAM appelé ” TTE” (Téléconsultation médecin Traitant et Ehpad) est valorisé C ou Cs à laquelle s’ajoutent les éventuelles majorations pour les médecins traitants ou pour les médecins traitant d’une autre spécialité.
Il importe désormais de trouver les organisations médicales les plus performantes de la télémédecine en Ehpad qui permettraient d’éviter les venues aux urgences et les hospitalisations des résidents.
Est-ce l’organisation régulière d’une téléconsultation programmée avec le médecin traitant qui permettra d’agir très en amont de la survenue d’une complication et ainsi de prévenir les hospitalisations ? Les médecins traitants en ont désormais la possibilité s’ils s’organisent pour être disponibles. Cela nécessite de leur part de revoir les organisations, les lieux d’exercice regroupé favorisant l’émergence de ces nouvelles organisations au service des Ehpads. Combien de médecin vont s’engager dans ces pratiques nouvelles de télémédecine programmées ? L‘arrêté du 10 juillet 2017 accorde aux établissements, aux MSP, aux centres de santé et aux établissements médico-sociaux des moyens financiers (28 000€/an) pour s’équiper en moyens de télémédecine et en personnels dédiés, à la condition de pouvoir justifier une pratique de 50 téléconsultations/an.
Est-ce l’organisation de téléconsultations non programmées avec le médecin traitant ou avec le médecin urgentiste qui permettra d’éviter l’envoi des résidents aux urgences ? Plusieurs projets se sont développés autour de ce thème avec la collaboration des services d’urgences hospitaliers, le médecin urgentiste acceptant de traiter par télémédecine la demande d’une infirmière d’Ehpad pour une hospitalisation éventuelle, notamment lorsque le médecin traitant n’est pas joignable. Ces pratiques de la télémédecine dans l’urgence, à notre avis, ne sont pas dénuées de risques pour le patient et le médecin urgentiste dans la mesure où une situation “aiguë” nécessite le plus souvent l’examen clinique de la personne âgée et donc son transfert aux urgences.
Est-ce que l’organisation de téléconsultations/téléexpertises spécialisées régulières et donc programmées chez des patients cumulant plusieurs maladies chroniques, notamment avec le gériatre dont la prise en charge adaptée d’une personne âgée relève de sa compétence, qui permettra de mieux suivre les différentes pathologies chroniques et de pouvoir ainsi prévenir les hospitalisations ? C’est l’expérience décrite dans le livre de Nathalie Salles[1] en référence aux recommandations publiées en 2015 par la HAS et l’ANESM qui préconisent au sein des Ehpads le renforcement des expertises gériatriques, le renforcement des expertises en soins palliatifs, le développement du recours aux services d’hospitalisations à domicile et le développement de la télémédecine pour fournir à l’ensemble des résidents d’ Ehpad des soins spécialisés gériatriques, psychiatriques et en soins palliatifs.
Conclusions
L’organisation médicale de télémédecine la plus performante en Ehpad est à démontrer. L’enjeu économique de cette nouvelle organisation structurée par la télémédecine est considérable. Comme l’a révélé l’enquête de l’ANESM en 2015, plus d’un résident d’Ehpad sur deux est hospitalisé chaque année, cela représentant environ 400 000 personnes. La même enquête de l’ANESM précise que la durée moyenne de séjour (DMS) est de 21 jours. En 2017, le tarif d’une journée d’hospitalisation en médecine polyvalente était de 1113 €, et de 2295 € en service spécialisé. Si tous les résidents d’Ehpad sont hospitalisés en médecine, et non en services spécialisés (ce qui ne peut être exclu…), le coût moyen d’un séjour est de 23 373 €. Soit pour les 400 000, une dépense assumée par l’Assurance maladie d’au moins 9,350 milliards/an, ce qui représente environ quelque 13% de l’ONDAM hospitalier. A cela s’ajoute les quelque 100 000 résidents qui viennent chaque année aux urgences sans être hospitalisés. Le coût moyen d’un passage aux urgences évalué par la Cour des comptes en 2007 est de 250 à 400 €, variable selon les régions. On peut donc évaluer cette dépense supplémentaire à 30 millions d’euros. L’organisation médicale de télémédecine qui permettra de réduire 50% des hospitalisations annuelles ou de diminuer de moitié la DMS permettrait de réduire la dépense pour l’Assurance maladie de près de 5 milliards d’euros/an.
[1] Télémédecine en Ehpad, les clés pour se lancer” aux éditions le Coudrier (www.edition-lecoudrier.fr) 2017.
1- mettons 1 MedCo dans toutes les EHPAD. 30% d’entre eux n’ont pas de MedCo. Comment ne pas penser que cela a forcément un impact sur l’hospitalo requérence des résidents ?
2- organisons une filière courte entre EHPAD du GHT et service MCO gériatrique : conseils/avis d’un gériatre MCO au téléphone avec son confrère de l’EHPAD et au besoin hospitalisation directe
3- mettons 1 IDE de nuit/EHPAD