Du telecare au télésoin : la place de l’IPA en France dans l’usage de cette technologie
La fin du XXème siècle a connu un développement conséquent des technologies de l’information et de la communication (TIC) offrant ainsi de nouvelles perspectives dans tous les secteurs d’activité dont notamment celui de la santé. C’est particulièrement vrai avec la télémédecine dont les expérimentations tangibles ont émergé en France au cours des années 1990. Selon la loi « hôpital, patients, santé, territoires »1 promulguée en 2009, La télémédecine consiste à utiliser des dispositifs techniques d’information et de communication dans divers environnements de soins afin de permettre aux médecins de réaliser des consultations médicales à distance et de maintenir des patients à domicile grâce notamment à des systèmes de télésurveillance.
Via cette technologie, il s’agit de répondre aux besoins de la population par une offre de soins graduée de qualité et accessible à tous sur l’ensemble du territoire. Les applications de la télémédecine sont nombreuses : téléconsultation (consultation à distance), télé-expertise (pour permettre aux médecins de solliciter l’avis de leurs confrères concernant un patient), télésurveillance médicale (pour interpréter à distance les paramètres médicaux d’un patient), téléassistance médicale (un médecin assiste un autre professionnel de santé lors de la réalisation d’un acte), régulation médicale (les médecins des centres 15 établissent par téléphone un premier diagnostic).
Aujourd’hui, la télémédecine fonctionne grâce à l’amélioration de la technologie : les zones de déserts médicaux sont de mieux en mieux équipées en réseau Internet. Ceci permet de s’affranchir, dans une certaine mesure, des contraintes géographiques qui peuvent peser sur un territoire. L’évolution des besoins de santé en lien avec le développement des pluri pathologies, l’explosion des maladies chroniques et le vieillissement toujours plus important de la population sont à l’origine des hypothèses qui conduisent à s’engager dans une transformation en profondeur du système de santé.
Dans ce cadre les pouvoirs publics se sont attachés à envisager un système de soins reposant sur des dispositifs de proximité en liaison avec les Hôpitaux. C’est là qu’interviennent les Infirmier(e)s de pratique avancée (IPA). En effet, l’utilisation de la télémédecine n’appartient plus uniquement au colloque singulier médecin-patient mais se situe dans une approche plus globale du soin. On se situe ici dans le telecare (approche anglo-saxonne2) entendue comme la prise en compte de l’ensemble des déterminants participant au diagnostic clinique via des prises de décision collective en incluant d’autres professionnels que les médecins. En effet, avec l’arrivée des pratiques avancées infirmières en France, par arrêtés et décrets parus successivement en 2018 et 2019, le champ des possibles s’ouvrent, laissant la place à une refonte des rôles et missions de l’ensemble des professionnels de santé, toutes disciplines confondues.
La loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé du 24 juillet 2019 dite « Ma santé 2022 »3 accélère le virage numérique via l’article 53 en remplaçant le terme de télémédecine par télésanté et en autorisant de nouvelles professions de santé à pratiquer le télésoin défini comme « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l’exercice de leurs compétences (…) ». Cette conception n’est pas nouvelle. La France a du retard d’une part, sur l’évolution du statut d’infirmier car dans les pays du nord de l’Europe, les infirmier(e)s des pays de culture anglo-saxonne ont déjà obtenu le statut de pratique avancée, correspondant à un niveau d’études de Bac+5 (master) et d’autre part, sur l’utilisation du télésoin. En effet, à titre d’exemple, au Québec, l’infirmier(e) de télésoin au Canada possède un large champ de champ de responsabilités dans le domaine du télésoin et correspondant à un niveau élevé de compétences en santé.
En France, le télésoin peut être un des leviers pour conforter ce nouveau métier d’IPA en permettant le suivi à distance et en consolidant le raisonnement clinique et les prises de décision. En effet, la pratique avancée vise un double objectif : améliorer l’accès aux soins ainsi que la qualité des parcours des patients en réduisant la charge de travail des médecins sur des pathologies ciblées. En effet, la démographie médicale défavorable contribue à une réduction du temps médical disponible de la médecine de ville. C’est pourquoi, la pratique avancée des infirmier(e)s devrait pallier à ce manque afin d’améliorer le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques stabilisées et de poly pathologies courantes en soins primaires. Via son leardership clinique, l’IPA pourra suivre les patients qui lui auront été confiés par un médecin après avoir recueilli l’accord de ces derniers.
Au regard des missions qui lui sont dévolues, l’IPA peut assumer des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ; des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique, des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale, des prescriptions d’examens complémentaires, des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales. Le télésoin par la vidéoconférence est une technologie qui va permettre aux IPA de recueillir des informations cliniques et subjectives quotidiennes sur les patients, facilitant la surveillance à distance des patients et le suivi continu. Dans une dynamique collaborative médicale, des temps d’échange, de coordination et de concertation réguliers sont bien évidemment nécessaires. Il s’avère donc que la pratique avancée en télésoin nécessite une approche approfondie de la maladie chronique, fondée sur des processus de raisonnement clinique et de prise de décision adaptés. Le télésoin en tant qu’outil de santé connecté modifie le rapport humain direct. Par ailleurs, les Systèmes informatisés d’aide à la décision médicale (SADM) sont de plus en plus utilisés pour faciliter le raisonnement clinique et la prise de décision dans différentes situations pathologiques.
Selon Seroussi et Bouaud (2014), ces SADM sont « des outils informatiques capables de traiter l’ensemble des caractéristiques d’un patient donné afin de générer les diagnostics probables de son état clinique (aide au diagnostic) ou les traitements qui lui seraient adaptés (aide à la thérapeutique) »4 p.1. Pour ne citer qu’un exemple, en Norvège, ces algorithmes destinés à produire des évaluations spécifiques du patient nommés Clinical decision support system (CDSS) sont utilisés pour les soins chroniques dans les hôpitaux, dans les structures de soins primaires et pour le conseil par téléphone.
Les infirmièr(e)s effectuant des pratiques avancées pour des soins complexes sont amené(e)s à utiliser les CDSS pour faciliter le raisonnement clinique et la prise de décision dans différentes situations pathologiques. Cependant eu égard aux recherches effectuées tant dans le domaines des SADM ou CDSS, il est fondé que ces systèmes utilisés comme de super calculateurs de risques et ou de scores restent des outils amenant des résultats pour alimenter les réflexions des professionnels de santé qui gardent le contrôle du processus décisionnel. Enfin se pose également des questions d’ordre éthique, puisqu’il est impératif que la confidentialité des données et la vie privée soient respectées au fur et à mesure que se développe ce type de technologie. Pour conclure, dans notre société postmoderne, les outils numériques sont devenus incontournables mais ils ne pourront jamais remplacer les rapports directs humains. Les IPA auront à porter ce double enjeu, utiliser ces outils qui paradoxalement ne favorisent pas le contact réel mais pour autant qui peuvent contribuer à l’appréhension des expériences et états de santé d’une personne dans sa globalité et au sein de son environnement. Il existe là de belles perspectives de recherche en pratique avancée infirmière pour identifier le rapport humain et social à l’utilisation de ces technologies dans le soin au service de la construction épistémologique des sciences infirmières en France.
Mme N Alglave, Directrice des soins
Coordonnatrice générale du DIF CHU de Nantes
Directrice de l’IFSI du CHU de Nantes
Docteure en Education, Ph.D., Laboratoire Cultures, Education, Société – EA7437 – Equipe ERCEP3 – Université de Bordeaux / CRIFPE- Université de Sherbrooke – Québec
- Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 dite loi « hôpital, patients, santé, territoires » (HPST), art. 78
- Pols J. et Willems D. (2011), Innovation and evaluation: taming and unleashing telecare technology, Sociology of Health & Illness, 33(3), 484-498.
- Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé
- Séroussi B. et Bouaud J. (2014). Systèmes informatiques d’aide à la décision en médecine : panorama des approches utilisant les données et les connaissances. Pratique Neurologique – FMC, 5(4), 303-316.