Au CHU de Poitiers, la robotique se met au service de la cancérologie

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Aujourd’hui, l’augmentation de la production d’anticancéreux pousse les centres de cancérologie à s’orienter vers des solutions automatisées. En effet, la production manuelle s’avère chronophage et physiquement lourde pour les préparateurs. Ces deux facteurs peuvent être sources d’erreur et d’insécurité pour les patients à qui sont destinées les préparations.

Le CHU de Poitiers, un établissement hospitalier axé sur la modernité (automatisation de la pharmacie centrale et de la blanchisserie entre autres), a souhaité optimiser la production des chimiothérapies au sein de son pôle régional de cancérologie, pour pallier aux problèmes logistiques rencontrés dans cette spécialité.

Le robot Pharmoduct conçu par l’entreprise italienne Dedalus, déployé en décembre 2019 au CHU de Poitiers, s’est avéré être le meilleur allié du préparateur pour une production simple et sécurisée.

Jean-Pierre Dewitte – Directeur Général du CHU de Poitiers revient sur le succès du pôle de cancérologie : « Inauguré il y a 10 ans, notre pôle de cancérologie a été victime de son succès par la densité de sa fréquentation. Au départ, nous avions un robot dont le bras reproduisait le geste humain pour la préparation des chimiothérapies, mais sa lenteur le limitait à 15/20 le nombre de préparations par jour, ce qui était inférieur à nos objectifs. En effet, notre activité de préparation a augmenté de 40 % depuis l’ouverture de notre pôle de cancérologie. »

Isabelle Princet – pharmacienne et chargée de l’unité de production des chimiothérapies -, « 60 % de notre activité concerne nos patients en hôpital de jour. Ils nécessitent donc une prise en charge rapide pour limiter le temps d’attente et assurer la rotation des fauteuils dans la journée. Si l’on y ajoute des délais de mise à disposition des poses de chimiothérapie allant jusqu’à 4 h, il était devenu vital de restructurer notre organisation. »

Le choix du CHU de Poitiers s’est porté vers le robot Pharmoduct de Dedalus.

Avec un design intégrant les principes du Lean Healthcare, orienté ligne de montage industrielle, cette technologie fait table rase du principe de reproduction du geste humain, dont la lenteur est préjudiciable à l’optimisation de l’activité du pôle de cancérologie.

Clarisse Fontaine – Directrice du département robotique de Dedalus – revient sur le fonctionnement du Pharmoduct : « Le robot reçoit des ordres de 2 manières : soit il exécute une production ordonnée par le logiciel de prescription de chimiothérapie (au CHU de Poitiers, Chimio® de Computer Engineering), soit on utilise directement l’interface du robot pour piloter une production en mode stock non nominatif. L’un permet de répondre à des besoins de préparation par rapport à des patients venant à un instant T, l’autre de produire en avance pour prévoir de futures demandes. C’est le mode Stand Alone. Pour les demandes de prescription, Chimio® gère le mapping pour coupler les demandes de la journée avec les stocks prévus en amont. »

Quid de la démarche à suivre pour le préparateur ? « Avec une interface qui lui est dédiée, et accessible sur son PCA, le pharmacien va intégrer sa stratégie de production, via Chimio® ou en mode Stand Alone », continue Clarisse Fontaine, « Il va paramétrer le jour et l’heure, afin que le préparateur puisse voir le déroulé du planning avant de suivre les étapes de préparation, toutes contrôlées et guidées par le robot »

Après avoir reçu ses ordres, le robot déroule un process divisé en sous étapes que le préparateur suit pas à pas. Si l’une des étapes n’est pas respectée par le préparateur (mauvaise insertion d’une poche, absence d’aiguille), Pharmoduct le signale pour guider au mieux l’hospitalier. Des écrans, présents sur l’interface du robot, lui montre comment positionner les objets nécessaires à la production (fioles, tubes, étuis…).

Une fois le matériel installé et la porte du robot fermée, la production peut se lancer.

Disposées en amont sur un premier carrousel, situé en hauteur, les fioles de principe actif seront vidées par le robot dans une poche multidoses. Dans un deuxième temps, le robot prépare les contenants finaux (poches de chimiothérapie, diffuseurs, seringues) – situés dans le carrousel du bas – qui iront au patient.

L’avantage du Pharmoduct est que l’on peut décorréler ces deux étapes de production : ne faire que du stock de poches multidoses ou uniquement des préparations finales.

« Dans chaque contenant final, le robot verse du principe actif et du solvant », précise Clarisse Fontaine, « Pour la préparation des diffuseurs, le robot injecte du solvant, du principe actif et à nouveau du solvant, afin d’assurer la purge des tubulures d’administration. »

« Côté traçabilité, un dispositif RFID sur chaque contenant permet d’enregistrer les données associées (poids, contenu, date de fabrication/péremption) et deux caméras sont disposées au niveau des fioles, dans le robot. », ajoute Clarisse Fontaine, « À chaque fois qu’une fiole passe devant la caméra, le carrousel la fait tourner pour la flasher. Ainsi, le robot peut faire une acquisition de type OCR ou datamatrix, pour vérifier la cohérence entre la prescription et la préparation. Si les produits ne correspondent pas à cette dernière, le robot ne continue pas sa mission et signale au préparateur l’erreur. »

De même, le Pharmoduct intègre trois points de contrôle gravimétrique pour s’assurer du poids de la préparation finale.

« Ce robot nous permettra de lisser notre activité sur la journée », reprend Isabelle Princet, « et de limiter les problèmes de TMS de nos préparateurs, car le travail en isolateur sollicite leurs membres supérieurs (épaules, poignets). De plus, le Pharmoduct isole la production pour protéger le manipulateur lors de la préparation. C’est la manipulation des flacons et des tubulures qui lui incombe. »

Cette conduite de changement, inaugurée par la robotisation, ne s’affranchit pas de la présence humaine, essentielle pour charger, décharger le robot et effectuer les contrôles gravimétriques. Le Pharmoduct est le partenaire du préparateur et permet à ce dernier d’évoluer dans son métier de façon technique, car c’est lui qui sera chargé de la gestion du robot.

« Au début, il est normal de se poser des questions sur le fonctionnement de ce robot, car la technologie peut toujours être source d’inquiétudes. Mais une fois le Pharmoduct expliqué et manipulé par leurs futurs utilisateurs, les craintes de départ se dissipent pour laisser place à une adhésion de principe », continue Jean-Pierre Dewitte.

« Quand on robotise un process métier, on modifie une organisation et il faut embarquer les gens dans ce changement pour qu’ils en saisissent les bénéfices. », précise Clarisse Fontaine, « D’où l’organisation d’ateliers pour faire découvrir le robot de façon ludique, avant d’entrer dans les détails pour mieux faire adhérer les hospitaliers aux changements de pratiques. Le but est de mettre en valeur l’évolution du métier de préparateur et les nouvelles compétences qui y sont liées. »

« Les préparateurs ont très vite compris les avantages du Pharmoduct car ils savent que fabriquer « ad vitam aeternam » n’est pas tenable, vu l’intensité de l’activité du pôle de cancérologie de Poitiers. », confirme Isabelle Princet, « Il faut préciser que, le Pharmoduct ne fera pas tout. Nous continuerons à produire les molécules instables à la main en gardant notre système d’isolateurs. De même que les flacons d’essais cliniques, qui ne seront pas réalisés en avance puisqu’ils ne concernent qu’un nombre limité de patients. »

Pour en revenir aux innovations robotiques, « il faut toujours être à l’écoute de ces nouvelles solutions mais il faut toujours qu’elles correspondent aux besoins des établissements de santé. », insiste Jean-Pierre Dewitte, « Nous ne sommes qu’aux balbutiements de cette robotisation. Il y a beaucoup de réflexions sur le sujet mais finalement assez peu de cas pratiques. D’où cette belle opportunité d’avoir déployé le Pharmoduct au sein de notre centre hospitalier. »

Ce partenariat avec le CHU de Poitiers, sera aussi l’occasion d’organiser des journées dédiées à la robotique, « les Mardis de la Robotique » les 14 et 28 janvier prochain, afin de présenter le Pharmoduct à d’autres centres et de les former à ce nouvel outil.

« Comme pour l’IA en radiologie, le but est d’empowerer le préparateur/hospitalier, et de lui permettre d’être plus efficient sur les actions humaines, en se délestant d’actes où la technologie sera son meilleur partenaire. », conclut Clarisse Fontaine, « L’exigence du CHU de Poitiers vis-à-vis de l’expertise de Dedalus fait notre fierté pour l’élaboration de ce projet. »

Isaac Tarek

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